« Islam de France : nous, « majorité silencieuse », faisons entendre nos voix » (Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay)
Une troisième voie
Depuis des années, nombreux parmi nous parlent, écrivent, se mobilisent, s’engagent, s’emparent des débats, prennent des risques et tentent de trouver des solutions pour faire naitre un islam pour notre temps et notre société. Nombreux sont ceux qui cherchent à proposer une troisième voie au-delà de l’alternative entre une imitation aveugle de la tradition (taqlîd) et son abandon complet.
Le but de cette démarche ? Réinterpréter les grands textes de l’islam pour en faire des vecteurs de lumière contre l’obscurantisme, car nous désirons ardemment nous arracher des griffes du dogmatisme et du communautarisme qui nous empoisonnent.
Nombreux parmi nous ne se contentent pas de dire que l’islam est une religion d’amour et de paix ; beaucoup regardent les problèmes en face et s’efforcent de prendre leurs responsabilités. Des alternatives et des solutions théologiques ? Nous en avons, nous les cultivons, nous les débattons et les affinons depuis des années. Le combat sur ce plan n’est pas perdu.
Il convient désormais d’aller à l’encontre de l’idée qu’il n’existerait qu’un islam orthodoxe qui aurait mis fin au pluralisme de ce bel héritage. Ce n’est pas parce que cet islam-là a gagné une bataille historique et politique à l’aube du XIe siècle qu’il faudrait nous y soumettre encore au XXIe siècle.
Incarner d’autres manières de vivre l’islam
Il faut en finir avec cette idée qu’il y aurait un consensus général sur la définition des éléments du dogme et des pratiques de l’islam. Nous ne voulons plus de ces vérités absolues ni de ces concepts prêts-à-penser et prémâchés rendus à tort indiscutables. Aujourd’hui, il y a d’autres manières de vivre l’islam, nous voulons les faire exister et les incarner.
Beaucoup d’entre nous osent briser la glace et discuter à nouveau des plus grands tabous de l’islam (statut du Coran, de la tradition, de la Loi divine, des grandes « obligations » religieuses, etc.). Car oui, si nous ne proposons pas de véritables alternatives théologiques solides et argumentées, nous ne pourrons jamais avancer, être reconnus et nous libérer de ces carcans de pensée.
Il est temps de faire entendre nos voix, de les porter haut et fort pour montrer que nous sommes là depuis des années, tous mobilisés dans une grande réflexion collective. Oui, nous sommes là et nous voulons être écoutés avec attention pour que notre travail ne soit plus silencieux et vain. Nous devons donc le mettre en valeur et le considérer comme une véritable porte de sortie de cette crise de l’islam pour faire rejaillir toute sa beauté et toute sa profondeur.
Nos voix doivent désormais se mettre au service de la construction d’une société qui saura résister à toutes les forces de fragmentation et de division. Sortons enfin du placard et unissons-nous ! Prenons confiance en notre force et passons maintenant à la vitesse supérieure !
Pour un islam spirituel et progressiste
C’est pourquoi nous avons créé les « Voix d’un islam éclairé », mouvement pour un islam spirituel et progressiste.
Éclairé, car le symbole de la Lumière divine est un modèle qui fait jaillir en nous-même une source de connaissance et de discernement pour écarter tout obscurantisme.
Spirituel, car l’islam est avant tout un chemin initiatique personnel et intime visant à nous relier à Dieu, aux autres et à la Nature, à nous élever et à nous transformer intérieurement pour mieux nous investir dans le monde.
Progressiste, car nous ne considérons pas le Coran comme un texte clos ni un code légal figé. Il nous incite au contraire à le revivifier par de nouvelles lectures et à poursuivre un progrès au-delà de la lettre vers toujours plus d’égalité entre les individus.
Nous voulons faire entendre les voix d’une culture musulmane…
Qui offre la possibilité d’une vie spirituelle libre,
Qui encourage l’esprit critique, l’utilisation de la raison et le pluralisme des interprétations,
Qui repense ses lieux de culte vers plus d’égalité et plus de liberté,
Qui ne s’enferme pas dans une communauté, mais s’ouvre sur le monde extérieur et s’y engage pleinement,
Qui reconnait sans réserve les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et déclare la liberté, l’égalité et la fraternité valeurs communes à toutes les civilisations,
Qui s’engage dans la défense de tous les droits humains et rejette toutes les discriminations,
Qui contribue à mener l’humanité vers toujours plus de progrès spirituel, politique et social,
Qui participe à tous les combats vitaux de notre temps et prenne toute sa part dans les grands débats spirituels, philosophiques, politiques, scientifiques et bioéthiques en leur apportant la contribution du meilleur de sa pensée et de sa sagesse.
Ce mouvement a pour but de tisser un réseau de collaboration et de coordination entre les acteurs qui incarnent cet islam éclairé, spirituel et progressiste, afin qu’ils fassent émerger un contre-discours et de nouvelles propositions théologiques pouvant offrir une véritable alternative spirituelle aux thèses de l’islamisme. Chaque membre conserve son autonomie mais s’engage à respecter les principes de notre manifeste fondateur.
Nous avons une responsabilité spirituelle et citoyenne. Celle de ne pas nous laisser faire, de ne pas nous taire, de ne pas renoncer et de ne plus jamais laisser le monopole de l’interprétation du Coran et de la Sunna aux extrémistes de tous les bords. C’est aux musulmans de prendre cette initiative.
Nous sommes désormais prêts à nous rassembler autour de principes communs, à nous mobiliser pour faire surgir une véritable force collective et ne plus avancer en électrons solitaires.
Nous acceptons aujourd’hui de prendre cette responsabilité. Et vous ?
Nous invitons donc toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans nos principes à rejoindre la V.I.E. (Voix d’un islam éclairé). Que vous soyez musulman.e.s ou non, croyant.e.s ou non, peu importe, il s’agit là d’une responsabilité citoyenne, humaniste et universelle. »
Source : « Islam de France : nous, « majorité silencieuse », faisons entendre nos voix », Saphirnews, 19 septembre 2018