Prêche #57 « Les animaux et les prescriptions alimentaires dans le Coran » (Anne-Sophie Monsinay, 11 octobre 2024)

Les versets faisant l’éloge de la perfection de la création et de la nature sont très présents dans le Coran. Ils constituent une véritable cosmologie mystique sur laquelle les musulmans sont en permanence invités à réfléchir et à méditer. Parmi ces versets, les animaux trouvent toute leur place. Le Coran nous explique leur statut, leur fonctionnement et encadre les liens que nous avons avec eux. Ces dispositions ont un impact aussi bien environnemental que spirituel.

Les relations entre les animaux et les êtres humains

Proximité entre l’être humain et l’animal

D’après le Coran, les animaux ont une grande proximité dans leur façon de vivre et dans leur essence avec l’être humain :

Nulle bête sur terre ni oiseau volant de ses deux ailes qui ne vivent en communauté à l’instar de vous-mêmes. Nous n’avons rien omis dans l’Ecriture. Puis ils seront réunis auprès de leur Seigneur. (Coran 6 : 38)

Tous les animaux sont organisés en umamun que l’on peut traduire par matrie ou communauté. La racine du terme renvoie aussi à l’idée de « ceux qui dirigent, une assemblée, une famille, de donner l’exemple ». Il y a donc l’idée d’une véritable organisation sociale chez les animaux, que l’on connaît bien par les recherches en éthologie, et qui varie selon les espèces. Mais le verset cherche à faire un parallèle avec nos organisations sociétales humaines pour montrer la proximité entre l’être humain et l’animal. Vient ensuite une dimension spirituelle qui est la place accordée à l’animal auprès de Dieu après sa mort. Dans le Coran, les versets évoquant le Paradis, présenté comme une récompense de la piété, sont nombreux. L’état et la place de notre âme après notre mort est une préoccupation majeure pour les musulmans. Indiquer que les animaux seront auprès de Dieu après leur mort montre la grande considération que Dieu a leur égard. En sommes, ils sont au paradis, qui est le terme choisi pour désigner dans le Coran cette proximité avec le divin. Contrairement à nous, ce paradis leur est acquis sans qu’ils n’aient d’efforts à fournir. Seul l’être humain a accepté de porter le Dépôt de Dieu (amana) (Coran 33 : 72) qui l’oblige à effectuer un travail sur lui pour cheminer spirituellement et se relier à son Esprit (Rûh). L’animal n’ayant pas la charge de ce Dépôt, le Paradis lui est offert inconditionnellement.

Le Coran évoque également la dimension spirituelle des animaux qui, tous sans exception, glorifient Dieu ou s’immergent en Dieu – si on s’en tient au sens complet du terme sabaha – c’est à dire qu’ils adorent Dieu, chacun à leur façon.

Ne vois-tu pas que tous les êtres vivants, dans les Cieux et sur la Terre, célèbrent la gloire du Seigneur, jusqu’aux oiseaux quand ils déploient leurs ailes ? Chaque être a sa manière de Le glorifier et de Le bénir, et Dieu comprend parfaitement leurs prières. (Coran 24 : 41)

En plus de nous indiquer le sens spirituel des animaux nous obligeant ainsi au plus grand respect à leur égard, ce verset souligne la diversité des approches et des relations que nous pouvons avoir avec Dieu, et légitime ainsi la diversité des religions et des pratiques religieuses dans le monde pour adorer Dieu.

Fonctions et liens entre les animaux et l’être humain

De part leur proximité avec nous et leurs qualités spirituelles, les animaux ne peuvent qu’être respectés par l’être humain. En tant que khalife (représentant, successeur) (Coran 2 : 30), nous avons une responsabilité sur la création car nous représentons Dieu sur terre et sommes Ses successeurs dans ce monde créé. Nous sommes donc responsable de ces êtres qui nous sont si proches. Le poids de cette responsabilité est allégé par une contrepartie que les animaux nous donnent. Le Coran évoque à de nombreuses reprises la fonction de différentes espèces animales à notre égard. Les animaux sont au service de l’être humain et travaillent pour eux en contrepartie de cette protection. Ainsi, certains animaux nous donnent leur peau pour nous vêtir, d’autres leur chaire ou leur production pour nous nourrir, d’autres encore nous transportent, d’autres nous servent de compagnon de vie (le chien dans la sourate de la caverne).

Il a créé les bêtes de troupeaux : vous en retirez des vêtements chauds et d’autres avantages, et vous en mangez. Et pour vous quelle beauté quand vous les ramenez dans la fraîcheur du soir, et quand vous les envoyez paître librement au point du jour. Et ils portent vos lourdes charges vers une contrée que vous ne pourriez atteindre qu’avec la peine de l’âme. En vérité, Dieu est Bienveillant et Très Rayonnant d’amour. Il a créé aussi les chevaux, les mulets et les ânes qui vous servent à la fois de montures et d’apparat. Et Il crée d’autres choses dont vous ne soupçonnez même pas la nature ! (Coran 16 : 5-8)

Le verset nous dit que Dieu a créé les animaux pour nous dans cette logique de service. Ainsi, le Coran ne préconise pas d’exclure toutes relations de service avec les animaux, comme on pourrait le voir dans certains courants idéologiques végans. Au contraire, cela fait parti de leur fonction que de nous servir, de la même manière qu’il est de notre devoir en tant qu’humain de servire Dieu. Seulement, jamais cela ne devra se faire en excluant le respect qui leur est dû de part leur nature. Ainsi, un certains nombres de règles, plus ou moins explicites, sont fixées par le texte pour encadrer notre consommation alimentaire d’animaux.

Les prescriptions alimentaires

La viande halal et l’interdiction de la consommation du sang

Le Coran fixe un certains nombres d’interdits sur notre consommation animale :

Vous ont été interdits (harama) : la bête trouvée morte, le sang, la viande de porc, ce qui a été sacrifié à un autre que Dieu, la bête tuée par étouffement ou à coups de bâton, mais aussi celle qui a chuté ou a été encornée ou ce que les fauves ont attaqué, sauf ce que vous aurez pu abattre (dhakkâ). De même vous ont été interdit ce qui a été immolé (dhabaḥa) sur les stèles et en consultant le sort à l’aide de flèches. (Coran 5 : 3)

Le verset utilise ici le terme haram (interdit) pour exclure certains aliments et certaines méthodes de mise à mort des animaux. Le verset semble exclure des morts violentes et douloureuses (encornées, étouffées, frappées à coup de bâton…). Il est intéressant de constater que rien ne dit explicitement qu’il faille égorger l’animal. Le verbe dhakkâ traduit ici par « abattre » est souvent traduit par « égorger ». L’égorgement fait parti du sens possible de ce mot mais il signifie avant tout « brûler avec intensité », « faire rapidement céder la chaleur naturelle », c’est à dire métaphoriquement l’idée de tuer rapidement, d’où le choix d’abattre. Bien sûr l’égorgement rentre dans cette catégorie des morts rapides mais ce n’est pas la seule. Tuer un animal à la chasse avec un fusil répond aussi à cette injonction de mort rapide. C’est d’ailleurs pour cela que les animaux chassés ne sont pas interdits à la consommation en islam. L’essentiel est ici donné : il s’agit de tuer l’animal le plus rapidement possible pour limiter sa souffrance.

Certains théologiens font le lien entre l’interdiction de la consommation du sang et l’égorgement en indiquant que seul l’égorgement permettrait de vider l’animal de son sang. Là encore, on peut opposer l’autorisation de la chasse puisque, s’il est en effet vrai qu’un égorgement vide davantage de sang, ce ne sera pas le cas pour un animal chassé. Sauf si l’animal chassé est égorgé après sa mort pour vider le sang, ce qui a été institué dans la jurisprudence islamique classique. Par conséquent, on peut tout à fait considérer l’égorgement comme la méthode permettant à la fois d’obtenir une mort rapide et de vider l’animal de son sang et ainsi respecter deux prescriptions de ce verset coranique. Notons néanmoins que cela n’exclut pas d’accepter d’autres méthodes de mise à mort que l’égorgement telle que la chasse, si celles-ci permettent de réduire la souffrance, et de pratiquer l’égorgement après la mise à mort.

D’autres théologiens associent l’interdiction de la consommation du sang à la manière dont on cuit la viande, en préconisant une cuisson « à point » voir « bien cuit » pour éliminer le plus de sang possible. Scientifiquement, on sait que la viande rouge n’est pas constituée d’hémoglobine (sang) mais de myoglobine, qui est une protéine chargée de stocker l’oxygène dans le muscle alors que l’hémoglobine a pour rôle de transporter l’oxygène dans le sang. On pourrait se dire que cela ne fait pas grande différence, d’autant plus que ces deux protéines ont le même aspect et la même couleur rouge. De plus, le Coran peut très bien nommer « sang » tout ce qui en a l’apparence sans rentrer dans des considérations scientifiques moléculaires détaillées, puisque ce texte n’a évidemment pas une vocation scientifique. Cependant, il est à noter qu’un bœuf ou un poulet seront tous les deux égorgés et vidés de leur sang lors de leur mise à mort. Pourtant, la viande de bœuf est rouge et celle du poulet blanche. Si le sang semble absent de la chair du poulet, cela s’explique du fait que sa chair contienne peu de myoglobine car ses muscles ont moins besoin d’oxygène que ceux des bœufs. Ainsi, l’absence de sang dans la viande de poulet renforce l’idée que le « sans apparent » d’une viande de boeuf n’en ai pas réellement. On peut donc légitimement s’interroger et douter que l’interdiction de la consommation du sang concerne la viande et la façon dont on va la cuire puisqu’elle ne contient pas réellement de sang.

L’interdiction de la consommation de sang semble surtout faire directement référence aux pratiques idolâtres des mecquois mais aussi des cultes polythéistes en général car le sang des animaux sacrifiés était offert aux idoles et parfois déversé pour être bu directement.
Cet interdit de la consommation du sang se retrouve également mentionné dans la Torah et expliqué par le fait que le sang représente l’âme de l’animal :

Tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture, je vous donne tout cela au même titre que la verdure des plantes. Seulement, vous ne mangerez pas la chair avec son âme, c’est à dire le sang. (Genèse 9 : 4)

Où que vous habitiez, vous ne mangerez pas de sang, qu’il s’agisse d’oiseau ou d’animal. Quiconque mange du sang, quel qu’il soit, celui-là sera retranché de sa race. (Lévitique 7 : 26-27)

Le verset 145 de la sourate 6 semble également apporter quelques précisions sur la nature du sang interdit :

Dis : « Dans ce qui m’a été inspiré, je ne trouve d’interdits, pour qui en consomme, que la bête trouvée, morte, ou le sang répandu, ou la chair de porc – car cela est souillure – ou encore ce qui, par perversité, a été dédié à autre que Dieu. Celui qui est contraint le fait sans transgression et sans excès… Vraiment, ton Seigneur, Très Recouvreur, Très Rayonnant d’amour ! » (Coran 6 : 145)

Le verset évoque ici du sang « répandu » dont la racine safaha signifie « idée d’excès, de relâchement, de débordement, verser, répandre, couler, qui est propagé rapidement et largement ». L’analyse de ce terme exclut l’idée du sang qui se trouverait dans la viande car ce dernier – si on part du principe qu’il s’agit de sang – ne déborde pas et ne se répand pas rapidement et largement. Le terme confirme l’idée qu’il s’agit du sang répandu au moment d’une mise à mort et récolté volontairement, tel que cela pouvait être lors des sacrifices idolâtres. Symboliquement, la Torah indique que l’âme de l’animal est présent dans ce sang. Cela peut renvoyer au potentiel de vie gâchée lorsque le sacrifice était effectué à une divinité païenne. Boire de sang reviendrait alors à consommer son âme et non sa chair. C’est d’ailleurs parfois pour cela que certains cultes païens consommaient le sang des animaux pour récupérer leur puissance.

Il n’y a donc aucune prescription quant à la manière de cuire la viande à consommer car il n’y a dès lors plus de sang à évacuer. En revanche, bien que le Coran ne l’indique pas explicitement, un égorgement semble nécessaire pour répandre l’excès de sang, le faire couler en totalité avant de consommer l’animal. Par conséquent, il est légitime d’égorger après leur mort des animaux chassés même si le Coran ne fait pas explicitement le lien dans les versets éviquant la chasse :

Ils t’interrogent sur ce qui pour eux a été rendu licite. Dis : « Ont été rendues licites pour vous les choses délectables. Et nourrissez-vous de ce que les rapaces, que vous avez dressés comme des chiens, ont saisi pour vous en leur apprenant ce que Dieu vous a enseigné. Rappelez le Nom de Dieu sur cela et prenez garde à Dieu ! Vraiment, Dieu, Prompt à demander des comptes ! (Coran 5 : 4)

Ici, le verset incite sur le caractère licite de la chasse et, sans évoquer la nécessité d’un égorgement post mortem, rappelle l’importance de maintenir l’invocation du Nom de Dieu sur l’animal, comme lorsqu’on abat des animaux d’élevage.
Ce dernier exemple prouve également qu’il est tout à fait possible de tuer l’animal autrement que par égorgement. Il y a ici un parallèle évident avec la méthode de mise à mort actuelle des animaux dans les abattoirs. Selon la méthode moderne, les animaux sont d’abord assommés avant d’être égorgés. Or, le Coran n’interdit pas d’assommer avant d’égorger. Le verset 3 de la sourate 5 nous demande de ne pas consommer de bêtes « tués par étouffement », ce qui n’est pas le cas des animaux mis à mort dans les abattoirs traditionnels puisqu’ils sont assommés pour être paralysés afin de faciliter leur mise à mort par égorgement. Cette méthode serait intéressante si elle réduit la souffrance de l’animal. C’est d’ailleurs l’argument mis en avant par les partisans de l’abbattage moderne. Néanmoisn est-ce réellement le cas ? Il est légitime d’en douter puisque la plupart du temps, l’animal assomé reste conscient et n’est pas anesthésié pour autant. L’animal souffre énormément tout d’abord par le coup qu’il reçoit mais surtout psychologiquement par les longues minutes qu’il passe suspendu par le pied, la tête en bas, à attendre qu’on l’égorge. Sur le plan à la fois éthique et dans une logique de réduire la souffrance animale, cette méthode produit clairement l’effet l’inverse. Néanmoins, l’abattage rituel dit « halal » est-il beaucoup mieux ?

Par l’égorgement simple, la méthode dite « halal » limite les souffrances animales à un seul acte (l’égorgement) comparée à la méthode classique. Seulement il y a d’autres conditions pour qu’une viande soit halal (licite) dont le fait d’invoquer le Nom de Dieu sur l’animal. Le docteur Al Ajami et Michael Privot indiquent dans leurs articles sur le sujet en se basant sur la sourate 6 versets 117 à 121 que cette condition n’est pas indispensable car la prescription de prononcer le Nom de Dieu sur l’animal se faisait à l’époque du Prophète par opposition aux sacrifices d’animaux à d’autres divinités. Ces divinités ayant disparu, ils en déduisent que l’invocation n’est pas nécessaire car rien n’indique dans ces verset que la formule doit être prononcée au moment de la mise à mort. Seulement, il y a d’autres versets qui donnent cette précision, comme celui évoquant la chasse précédemment cité (Coran 5 : 4) et aussi dans la sourate 22 :

Nous vous avons assujetti les grosses bêtes comme rituel institué par Dieu : elles sont pour vous un bien ! Alors, invoquez le Nom de Dieu sur elles quand elles sont mises en rangs. Dès lors qu’elles seront tombées mortes sur le flanc, mangez-en et faites prendre repas au mendiant et au démuni. Ainsi, Nous vous les avons assujetties. Puissiez-vous être reconnaissant ! (Coran 22 : 34-36)

L’idée de « mise en rang » et l’ensemble du verset indique qu’il s’agit bien là d’une formule à réciter au moment de la mise à mort. Le verset précise aussi que ce processus doit être « ritualisé ». Pourquoi cette recommandation ? Il est indispensable ici de se poser la question du sens. Réduire la souffrance animale semble une évidence compte tenue du statut des animaux précisé précédemment. Mais pourquoi dire « bismillah » pour tuer un animal ? Si toutes les prescriptions du Coran sur la mise à mort des animaux visent à réduire leurs souffrances, celle-ci ne peut qu’aller dans ce sens. Il ne s’agit pas de dire « bismillah » devant un troupeau pour en égorger leurs membres les uns après les autres et les uns devant les autres, renforçant ici de nouveau et de manière abjecte leurs souffrances psychologiques. Il s’agit comme le dit le verset « d’invoquer le Nom de Dieu » (dhikr). L’invocation ou souvenir (dhikr) implique le sacré et la répétition. Dhikr signifie aussi la mise en présence avec Dieu. Il s’agit donc de prier sur l’animal afin qu’il reçoive les bénédictions et l’apaisement générés par la prière, qu’il reçoive la paix divine en lui. C’est donc une attention particulière et individuelle qui doit permettre à l’animal d’être serein, apaisé, et pleinement abandonné à Son créateur et sa destinée. Ainsi, il remplit sa fonction et nous remplissons la notre. Cette vision du halal n’est pas une utopie. Certains musulmans comme Sam Kouka (voir vidéos youtube où il explique sa méthode) abattent leurs animaux de cette façon en s’inscrivant ainsi pleinement dans l’éthique du halal coranique.

Le label « halal » a complètement perdu ce sens spirituel profond au profit d’une forme rigide, non seulement vide de sens mais qui va même à l’encontre de la signification originelle. La logique coranique d’une viande halal à la consommation vise à réduire la souffrance au moment de la mise à mort de l’animal et à le consacrer à Dieu dans le but de l’apaiser avant de le tuer (toujours pour réduire la souffrance). Il y a également une prescription indispensable qui n’est pas explicite dans le Coran car elle était pratiquée naturellement à l’époque du Prophète : le respect des conditions de vie de l’animal. L’élevage industriel n’existait pas du temps du prophète, les animaux vivaient à l’air libre et sans souffrance. Considérer qu’un poulet élevé en batterie est « halal » du simple fait qu’il soit égorgé est une aberration.
Il y a donc une vraie réflexion à avoir sur cette question. A chacun en connaissance de cause et en conscience de définir quel sera le « moindre mal » à défaut d’avoir du véritable « halal », qui existe mais n’est pas forcément très accessible car les producteurs sont limités. Etant donné des conditions d’élevages actuelles, le label « bio » s’approche bien plus de la viande licite du Coran que le label « halal » car au moins ce label respecte les conditions de vie animal, à défaut de la mise à mort qui n’est de toute façon pas respectée non plus avec le label « halal ».
Quant à la chasse moderne, elle pose également un problème d’éthique et de traçabilité car, si un certain nombre de gibiers sont réellement sauvages, beaucoup sont en réalité des animaux d’élevage lâchés en pleine nature pour une être chassés. Evidemment, ces animaux subissent les même mauvaises conditions d’élevage que ceux destinés à être abattus. La chasse – qui offre normalement à l’animal une vie à l’état sauvage – perd alors toute son éthique et devient une odieuse activité visant à assouvir les pulsions meurtrières des chasseurs.
Avec l’élevage intensif, le mauvais traitement des animaux et la surconsommation de viande, la question du végétarisme devient aujourd’hui plus que légitime. Une autre option consiste à trouver un compromis en réduisant notre consommation de viande et privilégiant la viande de meilleure qualité possible. Outre le label bio, il existe aujourd’hui du « halal bio » qui passe par deux types de circuits. Les premiers achètent des animaux labélisé « agriculture biologique » et les font abattre dans le circuit industriel « halal » classique (certificat AVS). Ces viandes ont alors un statut équivalent à celles issues du label « agriculture biologique » (AB) : les conditions de vie sont conformes au Coran, la mise à mort ne l’est pas. D’autres producteurs « halal bio » choisissent de se tourner vers leurs propres abattoirs et évitent ainsi la frénésie des abattoirs industriels. Les animaux proviennent d’élevages bio et sont tués en petite quantité avec une intention plus individualisée. Même si la mise à mort n’est pas forcément aussi soignée et sacralisée qu’avec Sam Kouka, on s’approche néanmoins de l’idéal coranique. En Ile de France, on trouve par exemple la boucherie Aya bio.

L’interdiction de la viande de porc et autres animaux déconseillés

Contrairement à l’interdiction de l’alcool qui est sujet à débat, l’interdiction de la viande de porc est explicite puisqu’il s’agit ici du terme haram. Se pose alors la question de la raison de cette interdiction. Est-elle liée à un contexte spécifique ou est-elle universelle ? Le Coran ne donnant pas explicitement les raisons de cette interdiction, nous sommes obligés de faire appel à d’autres connaissances. Deux raisons sont généralement invoquées :
– le porc ne se conservait pas facilement à l’époque du Prophète, en consommer aurait pu entraîner des maladies
– le cochon a une grande proximité génétique avec l’être humain (86% de gènes en commun, seul animal dont on peut recevoir certains organes dans le cadre de greffes, il est omnivore comme nous…), cet animal n’est donc pas destiné à être consommé et n’est pas bon pour notre santé de part son régime alimentaire.

    On peut bien sûr trouver d’autres explications notamment spirituelles. Toujours est-il que les deux explications précédentes n’aboutissent pas au même choix de pratique. Quelqu’un qui est intimement convaincu que l’interdiction du porc est due à la 1ère option doit en tirer les conclusions : aujourd’hui nous conservons cette viande sans problème, le contexte a donc changé, l’interdiction n’est plus valable. En revanche, quelqu’un qui est intimement convaincu que l’interdiction découle de la 2ème option ne mangera pas de porc car la proximité génétique de l’animal avec l’être humain est la même qu’à l’époque de la Révélation. Dans ce cas, l’interdiction n’est pas liée au contexte, elle est atemporelle et toujours valable aujourd’hui. Chacun est libre de suivre la raison qui fera davantage sens à ses yeux. Pour ma part, je suis absolument convaincue qu’il s’agit de la proximité génétique et que le porc n’est donc pas une viande destinée à la consommation. Bien que le Coran n’évoque pas cette raison, elle est en parfaite cohérence avec le seul terme utilisé par le texte sacré pour comprendre la prescription concernant l’interdiction de la consommation de viande de porc. Il s’agit du terme rijsun présent dans le verset 145 de la sourate 6 :

    Dis : « Dans ce qui m’a été inspiré, je ne trouve d’interdits, pour qui en consomme, que la bête trouvée, morte, ou le sang répandu, ou la chair de porc – car cela est souillure (rijsun) – ou encore ce qui, par perversité, a été dédié à autre que Dieu. Celui qui est contraint le fait sans transgression et sans excès… Vraiment, ton Seigneur, Très Recouvreur, Très Rayonnant d’amour ! » (Coran 6 : 145)

    La racine rijasa signifie « mugir, tonner, retentir, ébranler, causer un désordre, une rupture d’équilibre, se souiller avec une action infâme » et dans la forme utilisée ici, le terme renvoie à l’idée de « désordre, dysharmonie, souillure, dérèglement, déséquilibre, action infâme, turpitude, ce qui propage avec violence en dérangeant l’ordre naturel ». Une viande avariée ne saurait répondre à ces qualificatifs. Seule la consommation d’une viande dont la nature génétique ressemblerait à celle de l’être humain pourrait entrainer un désordre, une dysharmonie, un dérèglement et déranger l’ordre naturel aussi bien sur le plan physique que spirituel.

    Bien que la viande de porc soit le seul interdit formel à la consommation, on constate que, de manière plus subtile, le Coran invite à ne pas consommer d’autres espèces animales. Dans plusieurs versets, Dieu distingue certains animaux destinés à la consommation et d’autres destinés à d’autres fonctions :

    C’est Dieu qui vous a procuré les bêtes des troupeaux pour que vous en montiez certaines et en mangiez d’autres. (Coran 40 : 79)

    Et parmi les troupeaux : des animaux de trait et d’autres pour la vêture. Consommez la subsistance que Dieu vous a accordée ! Et ne suivez pas les pas de Satan, car il est pour vous un ennemi explicite ! (Coran 6 : 142)

    Il est intéressant de constater que la fonction de chacun est précisée et ne semble pas cumulable. Les montures (chevaux, chameaux) et les animaux de traits (bœufs, ânes ou autres) ne devraient a priori pas être consommés lorsqu’ils ont cette fonction. A l’époque du Prophète, les animaux consommés n’avaient pas servi l’être humain avant d’être tués. Ils étaient élevés pour être consommés comme le préconise le verset. Ainsi, on peut s’interroger aujourd’hui sur la consommation de certaines espèce comme le cheval par exemple lorsqu’on sait que les chevaux envoyés dans les abattoirs ont souvent servis en tant que chevaux de courses ou dans des clubs équestres. Le verset ne désignant néanmoins pas spécifiquement les espèces, il ne s’agira pas de cibler de nouvelles espèces interdites (car seul le porc l’est). Une vache ou un bœuf peut être soit élevé pour son lait, sa viande ou sa fonction d’animal de trait. Il s’agit ici davantage de respecter le service rendu par l’animal à l’être humain et de ne pas envisager l’animal comme une marchandise à utiliser jusqu’au bout à la fois pour son lait, sa force physique et pour finir sa viande quand il n’aura plus que cela à offrir.

    A chacun de s’interroger sur ses choix alimentaires, aussi bien à la lumière des versets coraniques que sur l’éthique et l’évolution de nos modalités d’élevage et de consommation. Quelque soit les interdits alimentaires que nous nous fixons, il faut bien garder à l’esprit qu’à l’époque de la Révélation coranique, la consommation de viande était très occasionnelle : elle était réservée aux fêtes religieuses ou aux événements importants dans une vie. L’enjeu ici est aussi bien écologique que spirituel car sur le plan ésotérique, l’animal que nous consommons vit à travers nous. Sa chair contient sa souffrance et si celle-ci est trop importante, cela nuira tôt ou tard à notre évolution spirituelle.

    La consommation d’alcool

    Le Coran n’interdit pas explicitement l’alcool. En effet le terme haram signifiant l’interdiction n’est pas rattaché à la consommation de boissons alcoolisées. Néanmoins, le texte dissuade clairement d’en consommer :

    Ils t’interrogent sur les boissons enivrantes et les jeux de hasard. Dis : « Dans les deux il y a un grave forfait (ithm kabir) et des avantages pour les humains. Mais leur nuisance (ithm) est plus grave que leur avantage. (Coran 2 : 219)

    O vous qui avez mis en œuvre le Dépôt confié, n’approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres avant de discerner ce que vous dites, ou en état d’impureté tant que vous n’avez pas procédé à une grande ablution, sauf si vous êtes en voyage ! (Coran 4 : 43)

    O vous qui avez mis en œuvre le Dépôt confié ! La boisson fermentée, et le jeu de hasard, et les pierres dressées, et les flèches divinatoires ne sont que source de déséquilibre (rijs) provenant de l’œuvre de Satan. Ecartez-vous (ijtanibu-hu) de cela ! Puissiez-vous être propères ! Vraiment, Satan ne vise qu’à susciter l’inimitié et la haine entre vous à travers la boisson enivrante, et le jeu de hasard, et vous distraire du Rappel (dhikr) de Dieu, et de la prière. Allez-vous alors vous en abstenir ? (Coran 5 : 90-91)

    Le texte coranique mentionne que l’alcool contient un « grand péché, faute, transgression, nuisance » (ithm kabir), qu’il crée un « déséquilibre, souillure, déréglement, désordre, dysharmonie » (rijs) et demande de « l’éviter, l’éloigner » (ijtanibu), sans l’interdire aussi formellement que le porc. Bien que les incitations à éviter l’alcool soient nombreuses et fortes, il est légitime de se demander pourquoi Dieu n’a-t-Il pas tout simplement placé l’alcool à la suite du verset sur l’interdiction du sang, du porc et de la bête trouvée morte ? Il semblerait que les choses soient plus subtiles concernant l’alcool. En effet, de nombreux versets font l’éloge du vin au Paradis tout en précisant que ce vin là n’enivrera pas. Dans le monde idéal paradisiaque, l’alcool semble être présent que pour ses avantages (le goût) et sans ses inconvénients (il ne produit pas l’ivresse). Enfin, tout en qualifiant le vin de « grand péché », le verset 219 de la sourate 2 précise qu’il comporte néanmoins des « avantages, profits ». Ainsi, le mal visé ici n’est pas le vin en tant que tel mais bien les effets qu’il produit donc l’ivresse. Les avantages du vin sont ceux du fruit sans les effets de l’ivresse, c’est à dire en des quantités extrêmement modestes. Quand on sait que les effets de l’alcool se font sentir au bout du deuxième verre donc très rapidement, qualifier l’alcool de « grand péché » semble être une sage mesure pour limiter les dégâts. D’autant plus lorsqu’on connaît le contexte et le rapport qu’avaient les arabes récipiendaires de la révélation avec l’alcool, on comprend d’autant mieux cette précaution. D’après la sourate 4, certains primo-musulmans se présentaient pour la prière en état d’ébriété, d’où la nécessité de dissuader de sa consommation. Nous retrouvons même un terme commun entre l’interdiction du porc et celle de l’alcool. Il s’agit du terme rijs dont la racine signifie « désordre, dysharmonie, souillure, dérèglement, déséquilibre, action infâme, turpitude, ce qui propage avec violence en dérangeant l’ordre naturel ». Seule l’ivresse peut répondre à ces qualificatifs par le désordre mental qu’elle produit, la violence qu’elle peut engendrer et le déséquilibre psychique qu’elle engendre. Ceci dit, cela ne répond pas à la première interrogation : Dieu aurait pu tout simplement interdire le vin. La démarche progressiste semble ici tout à fait pertinente : si la consommation d’alcool était extrêmement répandue et régulière, il sera plus efficace d’en dissuader la consommation sous couvert de bonne action religieuse plutôt que de l’interdire brutalement. Le Coran viserait alors à éloigner de l’alcool de manière progressive et pédagogique. Mais il y a un autre élément que l’on ne peut éluder : les révélations antérieures non seulement n’interdisent pas l’alcool mais l’utilise dans les rituels religieux (le vin symbolise le sang et la vie dans les rituels de Pessah, un des miracles de Jésus est de changer l’eau en vin…). La plupart du temps, les prescriptions religieuses sont plus strictes et plus nombreuses dans la Torah que dans le Coran. Un certains nombre de règles notamment alimentaires sont abandonnées par la Révélation coranique. Le Coran nous en donne la raison (Coran 4 : 160). Il me semble que le vin est le seul cas de mouvement contraire c’est à dire d’une « interdiction » qui n’existait pas dans les révélations antérieures. Dieu a donc durci Sa demande à ce sujet. Ce qui veut dire que, contrairement au porc, l’interdiction du vin ne va pas de soi et n’est pas liée à la nature de cette boisson mais plutôt au mauvais usage que l’on en a fait. C’est bien parce que les êtres humains n’étaient pas capable de maîtriser leur consommation d’alcool que Dieu a souhaité nous en éloigner plus radicalement. Peut être avons nous aujourd’hui assez de maturité et de sagesse pour faire la part des choses ? Peut être que seulement certains parmi nous aurons assez de maturité et de sagesse pour faire la part des choses quand d’autres préféreront par sécurité ou simple désintérêt gustatif s’en abstenir ? Là encore, à chacun de connaître son fonctionnement. Dieu a lui-même adapté sa prescription en fonction des peuples, à nous de suivre l’exemple pour faire de même.

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