Prêche #40 « Le mois de Ramadan et la nuit du destin : sens et modalités » (Anne-Sophie Monsinay, 7 avril 2023)
Le sens spirituel du jeûne
Le jeûne renvoie à l’idée d’un retrait du monde et de notre quotidien. « Saoum » signifie « jeûner, s’abstenir, faire abstinence, chômer, se taire, se calmer ». En se privant d’un élément vital pour le corps, nous l’affaiblissons et apprenons à le maîtriser. Nous sommes moins soumis à notre corps, à ses désirs, à notre mental, à notre ego et plus en phase avec notre état divin. En délaissant notre corps, nous nous détournons de ce qui contient notre incarnation et nous ancre dans ce monde. Nous favorisons des états spirituels plus poussés et plus propices à nous relier à l’Unité. Cela ne doit être qu’occasionnel car nous sommes sur terre pour vivre notre incarnation et nous réaliser dans notre corps. Néanmoins, le jeûne est un bon outil pour développer des facultés spirituelles. Paradoxalement, ce délaissement du corps entraîne en réalité une plus grande attention à celui-ci. Nous prenons davantage conscience de notre état physique, de notre force ou faiblesse physique avant de prendre conscience de la force spirituelle prodiguée par le jeûne. Les aliments consommés au moment de la rupture du jeûne le sont avec plus de conscience et ont un effet plus immédiat et ressenti sur notre corps. Par exemple, le jeûne sera vécu avec plus de difficultés au lendemain d’un repas trop copieux ou inadapté.
Le jeûne permet également de renforcer notre lien à la nature car à cette période de l’année, notre rythme alimentaire et de sommeil est calqué sur le rythme solaire. Le coucher du soleil et l’aube deviennent des moments délimitant nos repas. Nous avons ainsi pleinement conscience du début et de la fin de la journée. Cette communion avec la nature et sa cyclicité naturelle, en plus d’être bénéfique pour notre corps, nous relie à la transcendance par l’alignement temporel de nos pratiques spirituelles et de notre rythme biologique et alimentaire. En ce sens, Eva de Vitray-Meyerovitch déclare :
« Chaque créature, visible ou invisible, rend grâces. En s’accordant au mouvement des astres, en se réglant sur l’apparition de la lune pour déterminer le début et la fin du jeûne du ramadan, et sur le soleil pour fixer les heures de la prière, le musulman s’associe à la Création tout entière adorant son Créateur. »1
Un jeûne complet, fréquemment réalisé par les mystiques, s’accompagne d’une retraite spirituelle. C’est par cela que l’intégralité du sens du mot « saoum » est appliquée. Le retraitant jeûne en se privant d’eau et de nourriture, ne travaille pas, calme son esprit, se tait par un engagement au silence le temps de la retraite et consacre son temps aux pratiques spirituelles et dévotionnelles, à la prière, au dhikr, aux lectures spirituelles, à la méditation et à un état de présence permanent. Ces temps de jeûnes et de retraites nous permettent d’observer nos structures mentales et nos pensées avant de nous mener vers un état de conscience différent, détaché du corps – état dans lequel nous allons beaucoup plus facilement à l’essentiel, à l’essence des choses. La sourate Myriam associe directement le terme de jeûne (sawman) au silence que Marie consacre à Dieu alors qu’elle vient d’accoucher de Jésus et qu’elle se nourrit pourtant de dattes.2
Le Coran indique qu’au début de l’islam, les musulmans réalisés une retraite « dans les mosquées » pendant le mois de Ramadan.3 Cela est confirmé par un hadith qui montre l’importance de cette pratique à l’époque du Prophète : « D’après ‘Aïcha, le Prophète fit la retraite spirituelle pendant la dernière décade du mois de Ramadan jusqu’à sa mort. Ses femmes, après sa mort, continuèrent à faire la retraite spirituelle. » (Sahih Boukhari). Ce verset nous montre qu’il y avait des retraites organisées pour tous les musulmans et pas seulement les soufis. Or, aujourd’hui cette pratique a pour beaucoup été abandonnées. Tout d’abord, les mosquées ne le proposent plus forcément et les contraintes professionnelles font qu’il n’est pas toujours aisé de se libérer une semaine pendant le Ramadan. Dans ce cadre là, la retraite est collective et associée au jeûne ainsi qu’à une certaine ascèse – sexuelle et alimentaire. Elle correspond à un moment spirituel clef qui est le mois de la révélation du Coran. Il s’agit de profiter pleinement du mois de Ramadan pour se consacrer entièrement à Dieu, se couper de la matérialité – symbolisée ici par les besoins du corps – et de s’approcher des conditions dans lesquelles étaient le Prophète lorsqu’il a reçu la révélation, en retraite dans sa grotte.
Le jeûne du mois de Ramadan et la nuit du destin
La spécificité du jeûne du mois de Ramadan est qu’il correspond au mois de la Révélation du Coran. Se priver à ce moment là de nourriture, élément vital et indispensable à notre survie est aussi une façon de remercier Dieu pour cette Révélation et pour la guidance qu’Il nous offre tout au long de l’année. Parmi les sens évoqué précédemment, c’est le seul qui est explicite dans le Coran :
Il vous appartient de parfaire ce nombre (de jour) et de magnifier Dieu de vous avoir guidés ! Puissiez-vous être reconnaissants ! (Coran 2 : 186)
Seulement, le Coran n’a pas été révélé pendant un mois mais lors d’une nuit du mois de Ramadan appelée la nuit du destin. Il y a deux façons de comprendre cette révélation : elle correspond soit à la descente de l’intégralité de la révélation sur le monde avant que celle-ci soit révélée progressivement au Prophète. Ou bien, elle peut correspondre à la révélation du premier verset coranique qui a eu lieu lors de cette nuit de la destiné. Voici les deux sourates qui lui sont traditionnellement associées :
Par l’Aube ! Par dix nuits ! Par le Pair et l’Impair ! Par la nuit quand elle se propage ! (Coran 89 : 1-3)
Vraiment, Nous l’avons fait descendre dans l’instant pendant la Nuit de la Détermination.
Et qu’est-ce qui te fera comprendre ce qu’est la Nuit de la Détermination ?
La Nuit de la Détermination vaut mieux que mille mois.
En elle, les Anges et l’Esprit se laissent descendre, pour tout ordre, avec la permission de leur Enseigneur.
Elle est paix jusqu’au lever de l’aube ! (Coran 97 : 1-5 )
La sourate 97 indique que cette nuit vaut mieux que 1000 mois. Le Coran précise qu’une journée dans notre temps terrestre correspond à 1000 ans pour le temps divin (32 : 5). Si notre cœur comprend le sens et la puissance de cette nuit sacrée, notre évolution spirituelle sera décuplée comme après des mois de travail sur soi. Cette nuit renforce la liaison de grâce (salât) qui unie l’immanence (l’Esprit divin présent en nous) à la transcendance (l’Enseigneur, extérieur à nous). La prière vise à relier cette dualité entre l’Esprit de la créature et Son Créateur pour aboutir à l’Unicité. La sourate 89 n’est pas directement associée à la nuit du destin. Certains commentateurs associent par exemple les « dix nuits » aux 10 premiers jours du Pèlerinage à la Mecque.4 Néanmoins, un certains nombres d’indices combinés à la tradition prophétique suggèrent la nuit du destin. Plusieurs hadiths précisent que cette nuit a lieu lors des dix dernières nuits du mois de Ramadan, pendant une nuit impaire (les 21, 23, 25, 27 ou 29ème nuits du mois). En outre, Dieu jure par l’aube et la nuit qui se propage, tout comme la sourate 97 indique que cette nuit est paix jusqu’à l’aube.
La mise en avant de l’aube n’est pas seulement due au fait que ce moment marque la fin de la nuit. Le Coran indique que les pratiques effectuées avant l’aube sont particulièrement fructueuses (Coran 51:18). Le silence des dernières heures de la nuit est propice à la concentration et à l’intimité spirituelle. L’accès à ce moment de grâce demande un effort puisque prier à cette heure nous oblige à nous « arracher de nos lits » (Coran 32 : 16). Tout comme le jeûne, cette pratique renforce la discipline spirituelle et la soumission du corps et de l’ego à notre Esprit divin. En outre, l’aube renvoie à une symbolique spirituelle explicite sur laquelle le Coran nous invite en permanence à méditer.
Il enroule la nuit sur le jour et enroule le jour sur la nuit (Coran 39 : 5)
L’alternance de la nuit et du jour renvoie à l’impermanence des événements et à l’alternance de nos zones d’ombres et de lumières. Ainsi, l’aube symbolise la naissance de la Lumière en nous. Progressivement, nos prières et actes d’adoration nocturnes voient s’effacer nos ténèbres intérieures et émerger notre Esprit divin. L’aube est évocatrice d’une sagesse profonde et le moment le plus propice pour accueillir la Parole de Dieu.
Ces versets permettent de situer la nuit du destin, en insistant sur certains moments (la nuit, l’aube, les 10 dernières nuits) tout en occultant de donner sa date précise. Dans les révélations des traditions abrahamiques, les données temporelles sont précises et récurrentes, que ce soit pour des fêtes ou pour commémorer divers événements ayant un sens spirituel extrêmement profond. Dieu nous indique dans la Torah à quel moment elle fût révélée à Moïse, et nous précise dans les Evangiles le jour de la cène, de la crucifixion et de la résurrection de Jésus. En revanche, pour la révélation Coranique, les informations sont beaucoup plus imprécises. La sourate 89 (l’Aube) évoque 10 nuits et l’alternance du pair et de l’impair souvent reliés à la nuit du Destin mais sans en avoir la certitude. Et dans ces 10 nuits, une seule est celle de la Révélation sans que nous sachions laquelle. De manière générale, contrairement à Moïse ou à Jésus, le Coran donne très peu d’informations sur la vie de Muhammad. L’analogie entre l’absence de données temporelles précises sur la date de la Révélation et l’absence d’informations concernant la vie du prophète Muhammad est manifeste. La Torah regorge de renseignements sur la vie de Moïse, les Evangiles nous relatent une grande partie des actes et des propos du Christ, le Coran ne cesse de mentionner des épisodes de vies de ces deux prophètes, mais nous donne très peu d’informations sur Muhammad. Cependant, il nous indique l’essentiel : « Sachez que le Messager de Dieu est en vous ! » (Coran 49 : 7). Les versions standards préfèrent traduire « fî kom » par « parmi vous ». Les deux traductions sont possibles. Maurice Gloton préfère « en vous » dont la portée est plus atemporelle. Notons que la présence du Prophète « parmi nous » pour un lecteur contemporain a la même signification. Muhammad n’est évidemment plus présent physiquement parmi nous mais sa présence spirituelle « en nous » est bien réelle. Et si Muhammad était destiné à être un mystère qui ne se révèle qu’à ceux qui mettent en œuvre, par lui, le Dépôt confié ? Ainsi, seuls ceux qui cherchent Muhammad en eux-même peuvent accéder à lui. De même, l’absence de précision concernant la date de la Révélation vise à nous mettre en quette intense et assidue pendant les 10 dernières nuits du mois de Ramadan de celle qui a ouvert le cœur du Prophète. Car l’enjeu est bien celui-là : l’objectif premier du mois de Ramadan est de recevoir personnellement la révélation du Coran comme Muhammad l’a reçue. C’est à dire que la compréhension du Coran ne sera pas seulement intellectuelle mais expérimentale, comme si le texte s’inscrivait sur notre cœur et que nous l’incarnions dans notre comportement. Ainsi, la Nuit du Destin, quelque soit sa date, est l’opportunité pour chacun d’être le réceptacle de la Parole de Dieu, comme le fût Muhammad, afin que comme lui et par lui, nous réalisions notre Essence divine. Ainsi, nous pouvons associer 2 autres versets aux 2 cités précédemment qui évoquent cette descente et la réalisation Muhammadienne :
Lui qui a fait descendre dans l’instant la sereine Présence dans le cœur de ceux qui mettent en œuvre le Dépôt confié afin d’en accroître la mise en œuvre. (Coran 48 : 4)
Le Prophète est plus proche de ceux qui mettent en œuvre le Dépôt confié qu’ils ne le sont d’eux-mêmes. (Coran 33 : 6)
Djalal Al-Din Rumi fait également le lien entre Muhammad et la réalisation spirituelle :
« Dieu a appelé le Prophète muzzammil (celui qui s’enveloppe), disant : Sors de ton manteau, toi qui aimes t’enfuir.
Ne cache pas ta tête dans ton manteau et ne te couvre pas le visage, car le monde est un corps égaré, tu es l’intelligence.
Ecoute, ne te cache pas à cause des insultes de l’adversaire, puisque tu es le flambeau resplendissant de la Révélation.
Ecoute, « tiens-toi debout (en prière) durant la nuit », car tu es une chandelle, ô prince : la nuit, la chandelle se tient debout (et brûle).
Sans ton rayonnement, le jour brillant est sombre comme la nuit ; sans ta protection, le lion est captif du lièvre.
Sois le pilote du navire dans la mer de la pureté, car tu es un second Noé, ô Mustafâ.
Un guide expert, doué d’intelligence, est nécessaire pour chaque voyage, surtout pour celui qui se fait sur l’eau.
Lève-toi ! Vois la caravane égarée : partout, une goule est devenue capitaine du navire.
Tu es le khezr de notre temps, et le sauveur de chaque esquif : ne pratique pas la solitude comme le faisait Jésus, l’Esprit de Dieu. (…)
Puisque tu es l’Israfil (Séraphiel) de ce temps, qui fais se lever les justes, opère une résurrection avant la Résurrection.
O bien-aimé, si quelqu’un dit : « Où est la Résurrection ? » montre-toi toi-même, en disant : « Voyez, je suis la Résurrection.
Regarde, ô questionneur affligé de tribulations, et vois que de cette Résurrection cent mondes ont surgi ! »
Et si le moqueur n’est pas apte à cette louange de Moi et n’est pas prêt à une humble supplication, alors, ô Sultan, la réponse au sot est le silence. »5
Bien que le Coran ait été révélé dans l’instant pendant la nuit du destin, Dieu nous demande de jeûner durant tout le mois, dès l’apparition du premier croissant, et non pas un seul jour. Il y a donc la volonté de vouloir sacraliser une longue période pour arriver à la fin du mois dans un état de plus grande pureté. Lors des 10 dernières nuits du mois de Ramadan, notre corps est suffisamment habitué au jeûne pour que notre âme ne s’en préoccupe plus. Ainsi, l’âme est pleinement disponible et s’oriente plus facilement vers son Esprit divin. Le corps et l’âme ainsi purifiées, l’Esprit peut agir en nous, pour louer et glorifier Dieu de la plus noble manière.
Modalités sociales, spirituelles et alimentaires
Les textes saints nous encouragent à pratiquer le jeûne en toute discrétion notamment lorsqu’il est réalisé en société. Le jeûne vise également d’après le Coran à remercier Dieu pour le don de Sa révélation. (« Puissiez-vous être reconnaissant »). En nous privant de nourriture, élément vital pour notre survie physique, nous offrons à Dieu un des seul sacrifice possible pour Lui rendre ce qu’Il nous a donné. Remercier Dieu de nous avoir guidé vers Sa Parole ne peut se faire que dans l’intimité et en tout discrétion. Le jeûne est le secret que nous partageons avec Dieu. Ainsi, un jeûneur ne saurait faire preuve d’ostentation quant à son état. C’est le rappel que fait Jésus dans l’Evangile selon Matthieu :
« Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. Mais quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Matthieu 6 : 16-18)
A défaut de pouvoir faire une vraie retraite pendant le mois de Ramadan qui engloberait le jeûne, le silence et le chômage, le jeûne dans nos sociétés occidentales invite à réduire toutes les formes de consommation et de divertissement afin de revenir à l’essentiel. Ce qui ne veut pas dire que nous devons nous couper de toutes relations sociales pendant le Ramadan car le lien à l’autre est aussi une pratique spirituelle. Mais nous pouvons choisir de privilégier des temps de pratiques spirituelles collectives ou des cercles de réflexion sur le Coran avant la rupture du jeûne en communauté par exemple.
Le mois de Ramadan invite à réduire sa consommation et son lien à la matière. Les repas de rupture de jeûne se doivent de rester dans cet état d’esprit et se limiter à une alimentation modeste et en quantité raisonnable. Il n’est pas normal que certains voient leur consommation alimentaire augmenter en période de Ramadan. Au contraire, celle-ci devrait se réduire considérablement à cette période pour se limiter aux aliments de base. Certains aliments comme la chaire animale n’étaient consommés qu’à certaines occasions à l’époque du Prophète. A défaut de réduire complètement sa consommation de viande, le mois de Ramadan peut être l’occasion de s’en priver afin de la retrouver à la fête de la rupture de jeûne (Aïd el-fitr). La même réflexion peut être amorcée sur les sucreries.
Repenser les aménagements du jeûne du mois de Ramadan
Le Coran prévoit des aménagements pour le mois de jeûne. Ces derniers avaient pour but de faciliter le jeûne quand les conditions extérieures le rendaient trop contraignant. La maladie physique ou le voyage permettent ainsi de ne pas jeûner et de rattraper les jours manqués ultérieurement. Les voyages à l’époque du Prophète se faisaient dans le désert à dos de chameau sous un soleil de plomb. Le jeûne devient dans ces conditions particulièrement difficile voire dangereux. Aujourd’hui, nos transports ne ressemblent en rien aux voyages de l’époque de la Révélation. Les avions et trains climatisés ne sont raisonnablement pas comparables à ce que vivaient les premiers musulmans. En revanche, nous vivons dans d’autres conditions qui pourraient amener à de nouvelles exceptions et adaptations. Chacun fera bien sûr son propre choix en fonction de son mode de vie et de ses capacités. Les événements demandant une grande consommation d’énergie et/ou de stress telle qu’une compétition sportive ou un examen s’apparentent aux difficultés liées au voyage à l’époque de Muhammad et peuvent justifier un report du jeûne. En France, le passage à l’heure d’été crée un décalage important entre les horaires naturels du cycle solaire donc du jeûne et les horaires de travail. Pour les personnes qui ont une activité professionnelle prenante et ne peuvent en adapter les horaires au moment du Ramadan, il en résulte souvent une grande fatigue principalement liée au manque de sommeil du fait des horaires décalés de la vie active. Lorsqu’une adaptation du rythme professionnel n’est pas possible, il peut être préférable pour certaines personnes d’adapter leurs horaires du jeûne afin de pouvoir tenir dans la durée sans sacrifier de manière conséquente leur temps de sommeil. Le lien à la cyclicité naturelle sera perdu mais les facultés spirituelles et cognitives préservées, et les vertus du jeûne plus conséquentes.
Est-il interdit de jeûner pendant les menstrues ?
La tradition considère qu’il est interdit pour une femme de jeûner pendant ses menstrues. Là encore, chacune fera son propre choix selon ses convictions spirituelles. Toujours est-il que le Coran est loin d’être explicite sur le sujet. Le Coran déconseille les rapports sexuels pendant les règles d’une femme en considérant cela comme une indisposition. 6
« Ils t’interrogent quant aux règles. Réponds : « C’est une indisposition (adhâ). Écartez-vous donc des femmes durant les règles et ne les approchez qu’une fois qu’elles ne les ont plus (yathurna). Et, lorsqu’elles se sont nettoyées (tatahharna), venez à elles comme Dieu vous l’a ordonné. Certes, Dieu aime ceux qui se repentent et Il aime ceux qui se purifient (al–mutahhirîn). » (Coran 2 : 222) 7
Le Dr Al Ajami, à qui nous devons cette traduction, précise que « yathurna » (racine « tahara ») signifie « s’éloigner, écarter, être propre, être non souillé » plutôt que « purifier » que nous trouvons dans la plupart des traductions. Ainsi ce terme renvoie davantage à l’idée d’un nettoyage plutôt qu’à une purification symbolique à laquelle renverraient par exemple les ablutions. Les juristes musulmans ont fait une surinterprétation de ce verset en considérant que cette indisposition entraînerait un état d’impureté indépendamment des rapports sexuels, qui interdirait aux femmes de jeûner et de prier pendant leurs règles. Il est bien sûr possible d’adhérer à cette interprétation mais rien ne prouve sa véracité. Or, en instaurant une interdiction sur cette question, on impose une éventuelle erreur d’interprétation à toutes les femmes, qui aboutit à une rupture du contact avec Dieu par l’impossibilité de réaliser la prière à laquelle Il nous enjoint et une interruption du jeûne qui prive le corps d’une adaptation dans la durée. Cela est bien sûr inadmissible. Chaque femme doit être libre de choisir si elle souhaite interrompre quelques jours ses prières et ses jeûnes – peut être que certaines y voient une pause bénéfique – ou si elle préfère maintenir son lien avec Dieu.
1 Eva de Vitray-Meyerovitch, La prière en islam, Paris, Albin Michel, 2003, p. 63.
2 « Secoue vers toi (Marie) le tronc du palmier, il en tombera sur toi des dattes mûres et succulentes. / Alors, mange et bois et que ton œil se réjouisse. Si alors tu devais voir quelque humain, dis : « Vraiment, moi, j’ai voué un jeûne au Tout-Rayonnant d’Amour, aussi, en ce jour, aux humains je ne parlerai pas. » / Alors elle vint avec lui en le portant auprès des tenants de son entourage. Ils dirent : « Ô Marie ! Tu as certes fait une chose anormale ! » » (Coran 19 : 25-27)
3 Les comportements d’intimité envers vos femmes vous ont été rendus licites pendant la nuit de jeûne. Elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles. Dieu sait que vous vous êtes trahis vous-même, alors Il a fait retour à vous et vous a pardonnés. Ayez un contact réjouissant avec elles et désirez ardemment ce que Dieu a prescrit pour vous, et mangez et buvez jusqu’à ce que le fil blanc se distingue du fil noir au lever du jour. Puis parachevez le jeûne jusqu’à la nuit, et n’ayez pas de rapports intimes avec elles tandis que vous partagez une retraite dans les mosquées. Voilà les limites que Dieu pose ! Alors ne les approchez point ! C’est ainsi que Dieu rend explicites Ses Signes aux humains ! Puissiez-vous prendre garde ! (Coran 2:187)
4 Maurice Gloton, Le Coran, essai de traduction, note 747 de la sourate 89.
5 Djalâl-od-Dîn Rûmi, Mathnawi, Livre IV
6 Coran 2 : 222
7 Coran 2 : 222 ; traduction par Dr Al-Ajami, « L’impureté, et l’impureté des femmes selon le Coran et en islam », Que dit vraiment le Coran ? : https://www.alajami.fr/index.php/2018/06/01/s2-v222/