Prêche #19 « Comment interpréter les versets violents du Coran ? » (Anne-Sophie Monsinay, 6 novembre 2020)

Le texte coranique est régulièrement critiqué et condamné pour ses versets violents, repris et mis en exergues par les groupes terroristes, et qui feraient de ce texte une source de danger ou du moins discréditeraient son contenu spirituel. La triste et tragique actualité de ces dernières semaines a ravivé les tensions au sein de la société. Pour certains, le Coran serait responsable de ces assassinats à cause de ses versets guerriers. Nombreuses ont été les réactions hostiles de la part de non musulmans pour qui le travail des réformateurs ne serait pas suffisant. Selon eux, il faudrait éliminer du corpus tous les versets belliqueux. Quand bien même on adopterait cette position et rééditerait des extraits du Coran épurés des dits versets, il est fort probable que les partisans d’un islam radical, qui n’accordent déjà aucun crédit aux explications contextualisantes des théologiens, n’en n’offriront pas davantage pour cette version édulcorée. Par ailleurs, ces versets sont indispensables pour connaître et comprendre l’histoire de la Révélation et celle du Prophète Muhammad. Ils permettent également de constater l’absence de violence dans les nombreuses situations humiliantes qu’a vécu le Prophète ainsi que la grande miséricorde de Dieu qui l’emporte toujours. Car cette violence est encadrée, contrôlée et restreinte à des situations précises, inexistantes aujourd’hui, et s’interdit d’exister en dehors de ces dernières. En sommes, l’histoire et la mise en perspective de ces versets sont les meilleurs remparts à toute forme de violence à motifs religieux.

Les versets guerriers

1) L’incitation à combattre et à tuer

La plupart des textes saints sont révélés à des époques où les conflits entre tribus étaient fréquents et s’adaptaient toujours aux situations vécues par les récipiendaires de la Révélation. La Bible compte proportionnellement au moins autant si ce n’est plus de versets conflictuels et violents que le Coran. Pourtant, aujourd’hui, il y a peu d’attentats commis par des chrétiens intégristes. Cela n’a pas toujours été le cas par le passé et la Bible fut aussi utilisée à des fins politiques et criminelles. Les causes amenant un individus à commettre un attentat terroriste au nom de l’islam sont bien évidemment multiples et dépassent le cadre religieux. Néanmoins, les imams et théologiens se doivent aussi de diffuser le plus massivement possible les explications religieuses pour éliminer définitivement ce facteur dans les passages à l’actes de tels crimes. Que faire aujourd’hui des passages les plus violents du Coran ? La réponse est simple : il faut les expliquer pour comprendre leur logique. Prenons l’exemple suivant :

Et combattez dans le chemin de Dieu ceux qui vous combattent et ne transgressez pas. Vraiment ; Dieu n’aime pas les transgresseurs ! Et tuez-les là où vous les surprenez et chassez-les d’où ils vous ont chassés. Or, la confrontation est plus rigoureuse que tuer. Et ne les combattez pas dans la Mosquée sacrée à moins qu’ils ne vous combattent. Si alors ils vous combattent, tuez-les donc. Telle est la rétribution des dénégateurs. S’ils cessent alors, Dieu est le Très-Recouvreur, le Très-Rayonnant d’Amour !  Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de confrontation et que le Culte dû soit pour Dieu. S’ils cessent : plus d’inimitié alors sauf contre ceux qui s’enténèbrent d’injustice! (Coran 2 : 190-193)

Les versets guerriers du Coran sont souvent expliqués par eux-même ou par les versets qui suivent ou qui précédent. Bien que la connaissance du contexte de révélation, du moment et du nom de la bataille évoquée facilitent la compréhension, en réalité une simple lecture de l’ensemble du passage permet déjà d’en saisir la portée et les limites.
Les guerres menées par le Prophète étaient défensives. Le Coran a été révélé sur une longue période de vingt-trois années durant lesquelles Muhammad s’est attiré de nombreux ennemis à cause de l’émergence de l’islam et de la menace politique, économique et sociale que représentait le Prophète aux yeux de la tribu des Qurayshites. La Mecque était un pôle spirituel et commercial central de la région. Les Qurayshites profitaient pleinement des échanges commerciaux opérés durant les pèlerinages liés aux cultes de diverses idoles présentent à La Mecque. L’arrivée d’une nouvelle religion qui invitait à rejeter les cultes idolâtres, était une réelle menace pour les Qurayshites. Cette menace était financière mais aussi culturel car le Coran a apporté énormément de modifications sociales qui remettaient en cause tout un mode de vie. L’islam a dérangé. Ainsi, les mecquois s’en sont pris verbalement puis physiquement aux musulmans en pillant leurs maisons ou en les torturant. Face à la montée de ces hostilités et après qu’ils aient enduré passivement les humiliations pendant de nombreuses années, Dieu a permis aux musulmans de se défendre. Précisons tout d’abord que cela fut tardif, seulement après l’Hégire, à Médine, et que cette option s’est imposée car il n’y avait pas d’autres solutions. Certains reprochent à Muhammad de s’être défendu en faisant la comparaison avec Jésus qui a choisi la non violence. Remarquons que ces choix ont aussi conduit à différents résultats : Jésus s’est fait tué au bout de 3 années de ministère, quand Muhammad a prêché pendant 23 ans. Or, si le message de Jésus n’a pris que 3 ans pour être exposé dans sa totalité – ce qui ne fut possible que parce qu’il s’inscrit dans le cadre de la Torah et s’adressait à un public majoritairement monothéiste – celui de Muhammad nécessitait 23 années de révélation car il s’adressait à un public majoritairement idolâtre. Par conséquent, Jésus n’a pas eu à fixer de règles sociales, ni de cadre éthique, ni même de pratiques religieuses, car tout cela avait déjà été révélé par les Prophétes le précédent. Il pouvait se contenter d’insister sur le fond du message à savoir les enseignements spirituels. Muhammad au contraire partait de zéro et le Coran a ainsi pris en compte le cadre globale nécessaire pour développer une spiritualité apaisée et éthique. Se défense était la seule solution pour que Muhammad reste en vie le temps nécessaire à la descente de l’ensemble du texte coranique.
Les détracteurs de l’islam et les terroristes islamistes ont souvent tendance à isoler le verset 191 de la sourate 2 (« Et tuez-les là où vous les surprenez et chassez-les d’où ils vous ont chassés. ») par malhonnêteté intellectuelle ou par fanatisme sans tenir compte des versets qui le précèdent et le suivent et qui nous donnent le contexte historique et l’ensemble des comportements adoptés dans les guerres vécues par les musulmans de l’époque. Le Coran stipule clairement que les conflits ont eu pour but de récupérer ce qui a été volé aux musulmans et enjoint de cesser toute attaque si l’adversaire cesse et se repent. L’objectif est à la fois de récupérer les habitations mecquoises, leurs affaires et de pouvoir exercer librement leur religion. Dans Sa grande miséricorde et par Amour inconditionnel, Dieu offre son pardon aux êtres qui cesseraient toute hostilité, ces derniers ont, autant que les musulmans, la présence de l’Etre divin en eux-même et peuvent, à tout moment, quelques soient leurs actes passés se relier à cette Essence divine.
Plusieurs versets évoquent ces guerres défensives auxquelles a participé le Prophète. De même, les versets évoquant le statut de « martyre » (4 : 74), visent à inciter et motiver les musulmans à soutenir le Prophète dans ces combats défensifs, il ne pouvait bien évidemment pas se défendre seul. Maintenant que le Coran est pleinement descendu, plus aucune situation ne menace son processus de révélation. Ces versets possèdent une dimension historique nous informant sur les difficultés rencontrées par les primo-musulmans et sur la Miséricorde divine qui cherche le plus possible à offrir son pardon. Ces versets sont évidemment aujourd’hui caduques dans leur application.

2) La capitation compensatoire des gens du livre

Dans ce même contexte de guerres tribales, un autre verset évoquant le paiement d’un impôt pour les non musulmans fait également polémique.

Combattez ceux qui par Dieu et en vue du Jour ultime ne mettent pas en œuvre le Dépôt confié, ceux qui n’interdisent pas ce que Dieu et Son Messager ont interdit, et ceux qui, ayant reçu l’Ecriture, ne qu’acquittent pas du Culte dû au Vrai, à moins qu’ils ne donnent directement la capitation compensatoire tout en faisant acte d’humilité. (Coran 9: 29)

Les musulmans exigeaient des juifs, des chrétiens et des polythéistes qui vivaient au sein des tribus musulmanes le paiement d’une taxe en échange de leur protection militaire. Cette taxe ne concerne pas les musulmans car elle compensait la zakât, l’impôt religieux obligatoire pour les musulmans qui revenait aux dépenses publiques. La zakât n’était pas payée par les non musulmans puisque c’est une prescription religieuse islamique. La taxe compensait cette zakât et justifiait la protection militaire. Le verset demande de combattre les polythéistes, les juifs et les chrétiens jusqu’à ce qu’ils acceptent de payer la taxe et non pas jusqu’à ce qu’ils se convertissent à l’islam. La traduction standard du Coran traduit « ceux qui ne s’acquittent pas du Culte dû au Vrai » par « ceux qui ne pratiquent pas la vraie religion » suggérant ainsi que la vraie religion serait l’islam au détriment des autres religions du livre. L’expression Din al Haqq peut davantage être traduite par « religion du Vrai », choix de l’essai de traduction de Jacques Berque. La religion est étymologiquement ce qui relie à Dieu, à soi, aux autres. Il y a de nombreuses façons de se relier et cela peut prendre diverses formes. Cette conception d’une seule vraie religion qui serait l’islam au détriment des autres n’a aucun sens sur le plan spirituel et surinterprète largement le verset. Par ailleurs, le Coran stipule clairement que les gens du livre doivent se référer à leur tradition religieuse.1 Al Haqq est un nom divin désignant entre autre le vrai, la vérité, la réalité, la certitude, manifester, réaliser.2 Ce nom renvoie à l’Essence immuable de la Réalité divine qui se manifeste et se réalise par la pratique religieuse. Subtilité intéressante, en réalité le passage ne désigne pas l’ensemble de ceux qui ont reçu l’Ecriture, mais seulement ceux qui parmi eux ne pratiquent pas leur religion (« Combattez ceux qui, ayant reçu l’Ecriture, ne qu’acquittent pas du Culte dû au Vrai »). Autrement dit, il s’agirait de personnes issues des peuples ayant reçu une révélation mais qui ne reconnaissent pas cette dernière ou ne pratiquent pas. Ainsi, les juifs et les chrétiens pratiquants sont exempts de taxe ! Ils se retrouvent donc dans une situation privilégiée par rapport aux musulmans qui paient un impôt obligatoire, la zakât.

Les châtiments corporels

1) Flagellation et adultère

Faites témoigner quatre d’entre vous contre celles de vos femmes coupables de turpitude (fâhisa). Si alors ils témoignent, retenez celles-ci dans des demeures jusqu’à ce que la mort les rappelle, ou que Dieu leur présente une autre voie. Sévissez alors contre les deux d’entre vous qui l’ont commise. Si alors ils font retour tous deux et s’amendent, détournez-vous d’eux. Vraiment, Dieu Se révèle toujours à faire retour, Très-Rayonnant d’Amour ! (Coran 4 :15-16)

La femme adultère et l’homme adultère, flagellez chacun d’eux de cent coups de fouet. Et n’usez d’aucune bienveillance envers eux, par respect au Culte dû à Dieu, si par Dieu et en vue du Jour ultime, vous mettez en œuvre le Dépôt confié. Et qu’un groupe de ceux qui mettent en œuvre le Dépôt confié soit témoin de leur correction ! (Coran 24 : 2)

Flagellez de quatre-vingts coups de fouet ceux qui lancent une accusation contre une femme honnête, puis ne produisent jamais quatre témoins ! Et au grand jamais, n’acceptez d’eux de témoignage ! Ceux-là sont ceux qui se dévoient. Font exception ceux qui, après cela, font retour et s’amendent. Vraiment, Dieu, Très-Recouvreur, Très rayonnant d’Amour ! (Coran 24 : 4-5)

Avant d’entrer dans l’analyse de ces versets, il convient tout d’abord d’émettre une première observation : la condamnation vise aussi bien l’homme que la femme. Contrairement aux préjugés véhiculés sur l’islam, le Coran ne prescrit pas la lapidation, ni dans ce verset ni ailleurs. Le terme fâhisa (4:15-16) traduit par Maurice Gloton par turpitude, signifie étymologiquement « atroce, abominable, détestable, obscène, choquant »3. Le Coran associe cette turpitude à l’adultère dans la sourate 17 verset 32 (« Ne vous approchez point de l’adultère car c’est certes une turpitude et quel mauvais chemin. »). Quant au verset 2 de la sourate 24, il utilise le terme zâniy de la racine zay, nun, ya qui renvoie à l’adultère et non pas à la fornication (sifâh) contrairement à la plupart des traductions.4 Concernant la fornication, c’est à dire les relations sexuelles hors mariage et dans le sens coranique celles qui sont liées à la débauche et au libertinage, bien que le Coran cherche à en dissuader notamment pour protéger les femmes, il n’envisage aucun châtiment corporel pour ceux qui s’y adonneraient. Les versets cités précédemment n’évoquent donc que l’adultère.
Le verset 15 de la sourate 4 précise qu’il est nécessaire d’avoir 4 témoins oculaires de l’adultère pour que la sanction soit appliquée. Le texte insiste sur ce nombre dans le verset 4 de la sourate 24 en condamnant ceux qui feraient une accusation sans fournir ces quatre témoins. Leur nombre et leur présence est indispensable avant d’envisager toute sanction. Or, pour témoigner d’un adultère, il faudrait que les quatre personnes assistent au rapport sexuel du couple accusé. Il s’agit ici de versets dissuasifs qui ne visent pas à être appliqués dans leur sentence mais à effrayer pour dissuader de commettre un adultère et trahir son ou sa conjointe. Il est en effet impossible de se retrouver dans ce type de situation, les couples commettant un adultère ayant coutume de se cacher, d’autant plus connaissant la menace de ces versets. Le texte coranique organise ainsi un cadre social avec des mœurs permettant le développement des individus autour de valeurs de sincérité et de respect d’autrui, par une technique de dissuasion fortement efficace et en adéquation avec les normes culturelles de l’époque de la Révélation. En outre, une précaution supplémentaire est indiquée : la suite de la sourate 4 précise que même en cas de flagrant délit, les accusés ont la possibilité de se repentir et d’être exemptés de la sanction. L’aspect dissuasif du verset précédent est confirmé. Dieu cherche à inciter les croyants à renoncer à la tromperie, lourdes de conséquences éthiques et spirituelles.

2) Couper la main du voleur

Et amputez la main du voleur et de la voleuse pour ce qu’ils ont commis, comme châtiment dissuasif, en rétribution de la part de Dieu. Dieu, Inaccessible, Sage. Qui fait retour après son enténèbrement d’injustice et s’amende, Dieu alors fait retour à lui. Vraiment, Dieu, Très-Recouvreur, Très-Rayonnant d’Amour. (Coran 5: 38)

Ce verset a l’air explicite. Pourtant, il peut être compris et expliqué de différentes façons. Observons d’abord le contexte de l’Arabie pré-islamique et la manière dont les voleurs été traités avant ce verset. Avant l’arrivée de l’islam, les personnes qui commettaient des vols ou des crimes étaient tuées ou bannies de la ville – ce qui revenait à les condamner à mort car leurs chances de survies dans le désert et sans le soutien tribal était quasi-nul. Il n’y avait pas de prisons et beaucoup de brigandage. Couper la main d’un voleur apparaissait donc comme un moindre mal. Dans cette compréhension, ce verset instaure une limite que le juge ne pouvait pas dépasser. En sommes, il abolit la peine de mort pour vol.
La jurisprudence islamique et la sunna fixent également des conditions qui doivent obligatoirement être réunies pour appliquer cette peine : le vol ne doit pas être commis par nécessité, il faut 2 témoins minimum qui y assistent et qui ne doivent pas faire partis de la famille de la victime, l’objet doit être caché et d’une certaine valeur etc… Réunir l’ensemble de ces conditions est faisable mais difficile, ce qui limite voir empêche l’application réelle de cette peine. Comme pour l’adultère, il s’agit avant tout d’une sanction dissuasive qui vise à effrayer et non pas à être réellement appliquée. D’ailleurs, l’expression « comme châtiment dissuasif » du verset peut à la fois être compris comme une sentence qui viserait à dissuader les futurs voleurs de passer à l’action, ou bien comme une indication que le verset vise à dissuader de commettre le vol, par peur du châtiment. De la même manière que le Coran utilise la menace et la crainte de l’Enfer pour inciter les gens à croire, à pratiquer et à bien agir envers autrui, ce verset menace le voleur en lui faisant craindre de perdre sa main.
Ce passage peut également se comprendre différemment grâce à l’approche linguistique. Le terme qata’a traduit par « couper » ou « amputer » signifie aussi « faire une entaille ». Cette dernière traduction est retenue dans le récit coranique évoquant l’histoire du Prophète Joseph. Zulaykha, la femme de Potiphar, était éprise de Joseph, alors son esclave, dont la beauté était inégalée. Ce penchant fût rendu public et Zulaykha fut moquée par les femmes nobles d’Egypte. Pour sauver son honneur, celle-ci organisa un banquet afin de présenter Joseph aux femmes d’Egypte pour qu’elles succombent à leur tour à son charme. La sourate 12 verset 31 précise :

Lorsqu’elle eut vent de leurs méchants commérages, elle les invita chez elle à un banquet, et remit à chacune d’elles un couteau. Puis elle ordonna à Joseph de paraître. Dès qu’elles l’aperçurent, elles furent émerveillées au point que, dans leur trouble, elles se tailladèrent les mains (qata’a), en s’écriant : «Grand Dieu ! Ce n’est pas un être humain, mais c’est un ange merveilleux !

Ici, les femmes se sont coupées les mains dans le sens d’entailler et n’ont pas amputé leurs mains. Pour le verset précédent (5 : 38), il s’agirait donc plutôt de marquer le voleur en lui faisant une entaille sur la main afin qu’il apparaisse comme étant un voleur aux yeux de la société puisqu’il n’y avait pas de prisons. Al Ajami propose une autre interprétation également fondée sur la linguistique. Il relève une anomalie grammaticale dans le verset. Le terme yad signifiant « main » est conjugué au pluriel aydiy et non pas au duel. Or, l’arabe distingue le duel – pour un pluriel de deux sujets – du pluriel qui comprend donc au minimum trois sujets. Or, dans ce verset il y a deux sujets : le voleur et la voleuse. Ce qui signifie qu’il faudrait amputer au minimum 3 mains soit 3 mains à chaque personnes ou 2 mains à l’un et une à l’autre minimum. Cette anomalie est étrange et ne peut être due au hasard. Al Ajami en déduit que le verset a un sens métaphorique et figuré telle une expression à l’instar de « couper la langue à quelqu’un » qui signifie le fait de lui couper la parole donc de l’empêcher de s’exprimer. « Couper la main du voleur » serait donc une expression qui signifie « réduire la puissance du voleur » en adaptant les mesures prises « en fonction des situations, des temps, des lieux et de l’avancement de la société. »5

3) Frapper sa femme

Analysons maintenant le verset qui permettrait aux hommes de frapper leur femme. En voici la traduction standard :

Les hommes ont la charge et la direction des femmes en raison des avantages que Dieu leur a accordés sur elles, et en raison aussi des dépenses qu’ils effectuent pour assurer leur entretien. En revanche, les épouses vertueuses demeurent toujours fidèles à leurs maris pendant leur absence et préservent leur honneur, conformément à l’ordre que Dieu a prescrit. Pour celles qui se montrent insubordonnées, commencez par les exhorter, puis ignorez-les dans votre lit conjugal et, si c’est nécessaire, frappez-les. Mais dès qu’elles redeviennent raisonnables, ne leur cherchez plus querelle. Dieu est le Maître Souverain. (Coran 4 : 34)

Si ce verset génère autant d’incompréhension, c’est principalement un problème de traduction. Le Coran exprime à plusieurs reprise l’égalité ontologique entre l’homme et la femme, et le devoir de respect entre les époux. Par ailleurs, dans plusieurs hadith considérés comme authentiques, le Prophète a interdit de frapper les femmes. Ce ne serait bien sûr pas la première contradiction entre le Coran et les hadith, néanmoins elles sont rarement dans ce sens, c’est pourquoi il est intéressant de le souligner.
Le début du verset évoque la responsabilité financière (qawwâmûn) qu’a le mari vis-à-vis de sa femme. Contrairement à ce qu’énonce la traduction standard, il ne s’agit nullement d’une autorité ou « direction » morale qui entraînerait un lien de subordination et d’obéissance. Comme le dit le verset, il s’agit d’une prise en charge financière puisque les femmes n’avaient, pour la plupart, pas de travail rémunéré donc pas d’indépendance financière. En effet, la racine qâma signifie « se lever, occuper une place, s’occuper de, soutenir »6. Voici la traduction d’Al Ajami : « Les hommes ont des responsabilités quant aux femmes en fonction de ce que Dieu favorise certains d’entre eux par rapport à d’autres, et par ce qu’ils dépensent de leurs biens. » Voici celle de Maurice Gloton : « Les hommes se doivent de se comporter toujours droitement à l’égard des femmes, par la faveur que Dieu a accordée aux uns par rapport à d’autres, et par ce qu’ils ont fait circuler de leurs biens. » (Coran 4 : 34).
Dans la suite du passage, la traduction standard déforme complètement le propos coranique. La voici pour rappel : « En revanche, les épouses vertueuses demeurent toujours fidèles à leurs maris pendant leur absence et préservent leur honneur, conformément à l’ordre que Dieu a prescrit. » D’après cette traduction, le passage indiquerait ce qu’est une épouse vertueuse, à savoir une femme fidèle à son mari. Bien qu’il n’y ait rien de choquant, ce n’est pourtant pas ce que dit le verset. On assiste ici à une belle déformation patriarcale du texte coranique. Je propose de nouveau la double traduction de Maurice Gloton et d’Al Ajami. Il est intéressant d’observer leur proximité et l’écart qu’elles ont avec les traductions standards. Ils ont pour point commun de centrer leurs analyses sur la linguistique et arrivent à des conclusions très proches. Al Ajami traduit ainsi : « Les vertueuses sont pieuses et gardiennes en l’intime de ce que Dieu veut que l’on préserve. » et Maurice Gloton : « Ainsi, les femmes intègres se recueillent, gardiennes, devant le mystère, par ce que Dieu garde. » La fidélité au mari a étrangement disparu ! Il s’agit donc d’une piété non pas vis-à-vis du mari mais vis-à-vis de Dieu. En effet, les termes qânitât (racine qanata) signifie le fait d’adorer Dieu sincèrement et d’être dévot et non pas « obéir à son mari ». Les traductions standards ajoutent sans scrupule ni parenthèses la mention « à leurs maris » pour modifier le sens du verset. Ces exemples sont nombreux dans ce type de traductions. Ce verset est un bon baromètre pour juger si une traduction est correcte ou non. D’autres, comme celles de Jacques Berque ou Denise Masson, corrigent également cette erreur.
La fin du verset est de loin la plus problématique. Contrairement aux erreurs de traductions relevées précédemment, le terme daraba signifie bien « frapper ». Néanmoins, comme précisé en amont, cette idée s’oppose aux autres versets coraniques évoquant les relations entre les hommes et les femmes ainsi qu’aux propos attribués au Prophète. Comme beaucoup de mots arabes, daraba est polysémique et signifie : « frapper, élever, proposer, insinuer, interpeller, éloigner, jouer d’un instrument de musique. »7 Al Ajami retient la traduction « éloignez-vous d’elles » et Maurice Gloton « provoquez un choc chez elles ». Al Ajami justifie son choix de traduction pour des questions de cohérence avec les autres versets coraniques mais aussi en faisant un parallèle avec un autre verset qui en est l’équivalent masculin. Il s’agit du verset 128 de la sourate 4 :

Si une femme craint de son époux impiété manifeste (nushûz), ou un éloignement (i’râd), il n’y aura rien à leur reprocher s’ils cherchent à rétablir entre eux deux la concorde. La concorde est chose meilleur, mais les âmes sont portées à l’égoïsme. Et, si vous agissez en bien et vous protégez, sachez que Dieu de ce que vous œuvrez est parfaitement informé.

Le parallèle entre ce verset et celui que nous analysons est saisissant, en particulier si l’on ajoute le verset qui suit le fameux « frapper-les ». Voici la traduction complète du passage par Al Ajami :

Les hommes ont des responsabilités quant aux femmes en fonction de ce que Dieu favorise certains d’entre eux par rapport à d’autres, et par ce qu’ils dépensent de leurs biens. Les vertueuses sont pieuses et gardiennes en l’intime de ce que Dieu veut que l’on préserve. Quant à celles dont vous craignez l’impiété manifeste [nushûz], exhortez-les, et délaissez-les en leurs lits et éloignez-vous d’elles [wa-dribûhunna]. Si elles sont en de bonnes dispositions envers vous, ne cherchez pas de voies contre elles ; certes, Dieu est Elevé, Grand. Et si vous craignez que les deux se séparent, faites appel à un arbitre de la famille de l’époux et un de la famille de l’épouse. Si le couple souhaite au fond la réconciliation, Dieu rétablira l’entente entre eux ; certes Dieu est parfaitement savant et informé. » (4 : 34-35)8

Dans les deux versets, Dieu préconise à chaque fois la réconciliation lors d’un conflit de couple, qu’il vienne de l’homme ou de la femme. Il est évident que frapper sa femme ne risque pas d’aboutir à une réconciliation. La mise en commun de l’ensemble des éléments évoqués permet indéniablement d’écarter définitivement la traduction de « frapper-les » pour rendre daraba dans ce verset.

Les châtiments eschatologiques

Vraiment, Nous allons brûler dans un Feu ceux qui ont dénié Nos Signes. Chaque fois que leurs peaux auront été cuites Nous remplacerons leurs peaux par d’autres afin qu’ils goûtent à la correction. Vraiment, Dieu Se révèle Inaccessible, Sage ! (Coran 4 : 56)

Dieu menace de l’enfer ceux qui n’ont pas la foi avec des descriptions particulièrement horribles. Il y a clairement une volonté d’effrayer pour faire réagir. Cela semble avoir fonctionné. A l’époque et aujourd’hui encore, beaucoup de musulmans pratiquent uniquement par crainte de l’enfer. Ils croient que le Coran est la Parole de Dieu et que, s’ils ne suivent pas ce que Dieu ordonne et interdit, ils iront en enfer. On peut légitimement se dire qu’il est dommage d’avoir besoin de recourir à la méthode de la carotte et du bâton (la récompense du Paradis vs le châtiment de l’Enfer) pour inciter les gens à croire et à pratiquer. Cependant, on peut aussi y voir des aspects positifs. Cela a tout d’abord permis de toucher beaucoup de personnes et de permettre à l’islam de se développer. Sans ces menaces, peut être que très peu de gens auraient eu la foi et la religion musulmane se serait éteinte à ses prémisses. En outre, cette technique est l’opportunité pour certains croyants de commencer à pratiquer et éventuellement d’évoluer plus tard vers une compréhension plus profonde de Dieu grâce aux effets spirituels que les pratiques auront produites en eux.
Néanmoins, cette peur de l’enfer a aussi des conséquences désastreuses sur le rapport à Dieu d’un certains nombres de co-religionnaires, entrainant notamment une grande culpabilisation douloureuse à vivre. Ainsi, il convient de diffuser et de réaffirmer le sens profond et spirituel de l’Enfer et du Paradis dans le Coran.
Les descriptions eschatologiques se caractérisent par une profonde matérialité et font appel aux sens de l’être humain. Cela pose un premier problème étant donné qu’elles décrivent un monde spirituel par définition immatériel. Au moment de la mort, l’âme quitte son corps qui reste à la terre et est dépossédée de son enveloppe charnelle. Pourtant, c’est bien les sens qui sont sollicités. Le Paradis est décrit comme un lieu idéal pour le corps qui pourra assouvir tous ses désirs par de bonnes nourritures et une compagnie agréable (les femmes pures et chastes et les jouvenceaux). Précisons au passage que ces femmes ne sont pas des épouses offertes aux hommes mais simplement des compagnes. Comme l’explique Al Ajami, « le verbe zawwajâ prend le sens d’épouse uniquement lorsqu’il est employé avec la préposition min, ce qui n’est pas le cas ici. Ainsi, dans ces deux versets, les houris ne sont-elles donc que les compagnes des hôtes du Paradis. »9 Il serait effectivement étrange qu’au Paradis, les interdits terrestres deviennent autorisés en permettant une polygamie illimitée et de boire du vin à volonté. Mise à part ces erreurs de compréhension, les descriptions n’en demeurent pas moins sensorielles et matérialistes. Il faut bien évidemment aller au-delà. Comment décrire un monde spirituel immatériel à des êtres humains qui ne perçoivent que leur monde et qu’à travers leurs facultés sensorielles ? De la même manière qu’il serait impossible de décrire le ciel à un bébé dans le ventre de sa mère, car il ne saurait entrevoir la couleur bleue ni même comprendre notre langage, Dieu use de paraboles et de métaphores pour décrire le monde post-mortem. Par ces descriptions sensorielles d’un monde idéal pour le Paradis et repoussant pour l’Enfer, nous en gardons deux impressions : le premier renvoie au bonheur et à la joie quand le second évoque la souffrance et la peine. Il est par ailleurs intéressant de remarquer l’exagération de certaines descriptions qui frisent le ridicule. Notre verset en est l’exemple parfait : « En vérité, ceux qui auront renié Nos signes, Nous les précipiterons dans l’Enfer et, chaque fois que leur peau aura été consumée, Nous leur en donnerons une autre en échange, afin qu’ils savourent toute l’horreur de leur supplice, car Dieu est Puissant et Sage. » Comme s’il n’était pas assez douloureux de brûler la peau une fois, cette souffrance se répétera infiniment.
Pour les mystiques, « ceux qui renient les signes de Dieu », c’est à dire ceux qui n’ont pas la foi, sont en enfer car ils se coupent de leur nature divine et de la spiritualité. Or, nous sommes des créatures spirituelles, appelées à réaliser notre nature spirituelle. L’enfer est donc avant tout intérieur et palpable dès maintenant. Une vie sans spiritualité est vide de sens et remplie de souffrances, plus ou moins conscientes selon les individus. L’enfer est la souffrance résultant de l’absence de Dieu que ce soit avant ou après la mort. Ibn Arabi l’évoque en ces termes pour le Paradis : « « Quand tu es entré dans mon paradis, alors tu es entré en toi-même (dans ton « âme » nafs), et tu te connais d’une autre connaissance, différente de celle que tu avais quand tu connaissais ton Seigneur par la connaissance que tu avais de toi-même », car désormais tu le connais, Lui, et c’est par lui que tu te connais toi-même. »10

 

1 Coran 5 : 47

2 Maurice Gloton, Une approche du Coran par la grammaire et le lexique, Al Bouraq, 2002.

3 Maurice Gloton, Une approche du Coran par la grammaire et le lexique, Al Bouraq, 2002.

4 Al Ajami, Que dit vraiment le Coran, https://www.alajami.fr/

5 Al Ajami, Que dis vraiment le Coran, « Couper les mains du voleur selon le Coran et l’islam », https://www.alajami.fr/index.php/2018/01/25/amputation-de-la-main-du-voleur-selon-le-coran-et-en-islam/

6 Al Ajami, Que dit vraiment le Coran, « Frapper les femmes selon le Coran et l’islam », https://www.alajami.fr/index.php/2018/11/06/frapper-les-femmes-selon-le-coran-et-en-islam-2/, https://oumma.com/frapper-sa-femme-avec-le-coran-et-frappez-les-22/

7 Maurice Gloton, Une approche du Coran par la grammaire et le lexique, Al Bouraq, 2002.

8  Al Ajami, Que dit vraiment le Coran, « Frapper les femmes selon le Coran et l’islam », https://www.alajami.fr/index.php/2018/11/06/frapper-les-femmes-selon-le-coran-et-en-islam-2/, https://oumma.com/frapper-sa-femme-avec-le-coran-et-frappez-les-22/

9  Al Ajami, Que dit vraiment le Coran, « Les houris selon le Coran et en islam », https://www.alajami.fr/index.php/2019/06/21/les-houris-selon-le-coran-et-en-islam/

10 Henry Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabi