Prêche #64, « La colère de Dieu et des Prophètes » (Eva Janadin, Aïd el-Fitr, 31 mars 2025)
Chères sœurs, chers frères en humanité,
Le jeûne est un moyen puissant de développer la maîtrise de soi. En étant privé de certains besoins, on apprend à contrôler ses désirs immédiats et à prendre de la distance par rapport aux émotions impulsives, comme la colère, la frustration ou l’irritabilité. Le jeûne renforce notre capacité à agir consciemment plutôt que de réagir instantanément à nos émotions.
Les effets du jeûne sur nos émotions
En réduisant nos distractions quotidiennes comme la nourriture et la boisson, le jeûne permet d’avoir plus de clarté mentale. Cela entraîne un sentiment de calme intérieur et une plus grande concentration sur notre vie et la gestion de nos émotions. Nos réponses seront plus réfléchies, plus rationnelles, moins impulsives.
Le jeûne aide à développer une plus grande gratitude et une grande patience, car il nous prive volontairement de choses que nous considérons souvent comme allant de soi (nourriture et eau). Cela peut améliorer notre attitude face à des situations difficiles ou frustrantes. Le jeûne enseigne à apprécier les petites choses, réduisant ainsi notre stress et l’irritation liés aux attentes excessives que nous pouvons avoir. Il augmente la tolérance aux désagréments et améliore notre résilience émotionnelle.
Apaiser notre âme pour goûter au Paradis
Le Paradis dans le Coran est synonyme d’état émotionnel tranquillisé, apaisé. Le Paradis est synonyme d’un lieu où toute forme d’angoisse, de tristesse ou de peur disparaît, qui correspond à un état d’apaisement intérieur absolu : « Entrez au Paradis ! Vous ne connaîtrez plus ni crainte ni affliction. » (Coran 7 : 49). C’est un lieu de satisfaction et d’accomplissement, où aucun manque ne subsiste, où la rancune et les conflits sont absents : « Nous aurons arraché toute rancune de leurs poitrines. Ils seront comme des frères, installés sur des lits, face à face. » (Coran 15 : 47). Bref, le Paradis est ce lieu de repos ultime après les épreuves de la vie : « Ce jour-là, il y aura des visages rayonnants, satisfaits de leurs efforts. » (Coran 88 : 8-9).
Le Coran décrit le Paradis avec des descriptions sensorielles apaisantes qui renforcent cette idée de détente et de sentiment de sécurité : des jardins verdoyants, des rivières coulant sous les pieds, un climat agréable, des boissons fraîches et pures, une compagnie bienveillante…
Et si goûter le Paradis dans l’au-delà revenait à atteindre cet état de tranquillité intérieure dans notre vie ici-bas ?
Le terme « âme apaisée » apparaît dans le Coran (Coran : 89, 27-28) : « Ô toi âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée. Entre parmi Mes serviteurs et entre dans Mon Paradis. »
Ce qui est intéressant ici est que l’on peut lire le verset de deux façons : est-ce le Paradis qui mène à l’apaisement ou bien est-ce l’apaisement qui mène au Paradis ? Je pense personnellement que c’est l’apaisement qui mène au Paradis et que la recherche du Paradis doit être une recherche active et qu’elle doit nous inciter à trouver le calme intérieur par un travail sur nous-mêmes et en priorité un travail sur nos émotions.
Les émotions liées au châtiment éternel de l’Enfer
À l’inverse, les habitants de l’Enfer sont soumis à un tourment émotionnel intense, marqué par des sentiments négatifs et dévastateurs. Parmi ces souffrances, on retrouve la douleur physique infligée par les châtiments corporels. Cette douleur ne se limite pas au corps : elle est aussi symbolique, engendrant une souffrance intérieure et émotionnelle accablante.
Ils éprouvent également des regrets et des remords profonds pour leurs actions passées, conscients qu’il est désormais trop tard pour changer : « Et si tu les voyais lorsqu’ils seront figés dans l’Enfer, ils diront : « Ô notre Seigneur, nous nous sommes soumis à Toi, alors fais-nous sortir de ce châtiment. » » (Coran 32 : 12).
L’humiliation et la honte les accablent lorsqu’ils prennent conscience de l’ampleur de leur erreur : « Et le jour où l’injuste se mordra les mains, il dira : « Ô ! Si j’avais suivi un chemin avec le Messager ! » » (Coran 25 : 27-29).
L’angoisse et le désespoir les rongent, car l’Enfer est un lieu dont nul ne peut s’échapper. Cette condamnation éternelle les plonge dans un tourment sans fin. À cela s’ajoute une peur panique, une terreur indicible face à l’intensité de leurs souffrances. Le feu de l’Enfer semble animé par une rage dévorante, créant une atmosphère effroyable. « Lorsqu’ils y seront jetés, ils l’entendront bouillonner de rage. » (Coran 67 : 7-8).
Enfin, un profond sentiment de culpabilité les accable. Ils réalisent l’ampleur de leurs fautes et sont hantés par la frustration de ne plus pouvoir rien changer : « Ceux qui, dans le monde, étaient pleins d’orgueil et de mépris, seront conduits vers l’Enfer et y souffriront éternellement. (Coran 7 : 49).
La colère divine et la colère humaine
Les descriptions coraniques de l’Enfer, en tant que lieu de souffrance, de regrets et de frustration, peuvent donc résonner avec des moments où une personne traverse des épreuves intenses et se sent perdue, isolée ou condamnée.
Mais j’aimerais m’attarder sur une émotion précise associée aussi à l’Enfer : la colère. L’Enfer est le lieu par excellence où s’exerce la colère divine. Et il est possible de faire un lien entre les expériences de l’Enfer et la colère humaine, notamment en termes de souffrance émotionnelle.
Le Feu de l’Enfer et les sensations corporelles liées à la colère sont très proches. Le feu de l’Enfer, dans le Coran, est une métaphore de la souffrance physique intense, mais aussi de la chaleur émotionnelle de la colère. Quand une personne est en colère, elle ressent une chaleur intense dans le corps, comme une montée de fièvre dans la tête ou une sensation de brûlure intérieure.
Les habitants de l’Enfer sont décrits comme étant remplis de colère et de frustration en raison de leur incapacité à échapper à leur sort, tout en étant soumis à la colère de Dieu (Coran 39 : 71-72).
La colère divine est une métaphore, celle de la colère humaine intense. Dans le contexte de l’Enfer, la colère divine est une réponse à un rejet répété de la vérité, à des péchés commis au mépris des avertissements. La colère divine est une réaction face à des comportements mauvais comme l’ingratitude, l’injustice, l’orgueil, l’hypocrisie, la rébellion, le refus de se repentir, la corruption ou encore le mensonge. Ces comportements aboutissent naturellement à une colère intense, qui aboutit à une punition, à un châtiment, une souffrance prolongée, de la même manière que la colère humaine peut conduire à punir les autres mais aussi à s’infliger à soi-même des souffrances intérieures.
Dans l’Enfer, les habitants sont remplis de désespoir, de regret, de culpabilité ; des émotions qui sont souvent exacerbées par la colère intérieure. La colère génère un état de souffrance où la personne se sent incapable de contrôler ses émotions ou les actions des autres. Dans le Coran, les habitants de l’Enfer se sentent piégés, sans espoir de retour en arrière. La colère est une cause d’autodestruction. L’Enfer est tout entier un lieu de destruction, où les actions des pécheurs les mènent à leur perte.
De même, la colère humaine, lorsqu’elle est mal gérée, entraîne une destruction émotionnelle ou physique, que ce soit par des actes impulsifs ou des blessures psychologiques causées à autrui. Dans les deux cas, la colère, qu’elle soit divine ou humaine, conduit à des conséquences graves et irréversibles.
Lorsque la colère humaine devient incontrôlable, elle mène à des situations irréversibles, où des dégâts sont faits et où des relations humaines peuvent être brisées. Une amitié ou un couple peut se briser à jamais à cause d’un débordement de colère. De la même manière, dans l’Enfer, les pécheurs sont dans une situation où il n’y a plus de retour possible. Cette irréversibilité, cette éternité de l’Enfer rappelle la manière dont la colère humaine peut détruire des opportunités de réconciliation et de changement.
Et pourtant, la colère est ressentie par tout le monde. Tout le monde a le droit de ressentir de la colère mais chacun doit rester responsable de ses actions et de ses réactions pour éviter qu’elles ne soient irréversibles. Nous allons justement voir comme les Prophètes ont géré leur propre colère.
Pourquoi les Prophètes se mettent-ils en colère ?
Plusieurs versets du Coran évoquent la colère des Prophètes face au comportement des autres, que ce soit face à l’idolâtrie, à l’injustice, au rejet du message divin ou à la désobéissance de leurs peuples.
Par exemple, Moïse se met en colère à plusieurs reprises contre son peuple en découvrant que certains ont fabriqué un veau d’or et se sont mis à l’adorer en son absence. Moïse est décrit comme étant « furieux et affligé » (Coran 7 : 150), ou encore « en colère et affligé » (Coran 20 : 86-88). Noé est en détresse et en colère face au refus obstiné de son fils de croire et de suivre l’ordre divin (Coran 11 : 42-43). Abraham exprime lui aussi son exaspération face à l’idolâtrie de son peuple, ce qui entraîne la tentative de le brûler vif (Coran 21 : 67-68 ; 6 : 74). Jonas quitte son peuple en colère, « il partit, irrité », pensant que sa mission était vaine, mais il finit par être englouti par le poisson en guise d’épreuve (Coran 21 : 87). Loth se met aussi en colère contre la dépravation de son peuple et leur comportement immoral (Coran 7 : 80-81 ; 26 : 165-166). Et enfin, le Prophète Muhammad ressent fréquemment de la colère et de la frustration face aux hypocrites qui l’entourent et qui persistent dans le rejet du message divin (Coran 9 : 80 ; 66 : 9).
Comment les Prophètes ont-ils fait pour surmonter leur colère ?
La colère des Prophètes est toujours motivée par la justice et la défense du message divin, et non par des motifs personnels. Mais comment les Prophètes font-ils pour ne pas basculer dans une colère incontrôlable aux conséquences dévastatrices ? Si tous les Prophètes ont ressenti de la colère à certains moments, ils ont aussi démontré des solutions concrètes pour la gérer de manière constructive, et je dirais presque de manière « stoïcienne ».
Première méthode : Prendre du recul, rester calme et ne pas agir sous le coup de la colère
Lorsque Moïse s’est mis en colère contre peuple après le veau d’or, il n’a pas agi impulsivement, il a pris le temps de se calmer avant de reprendre les tablettes et d’enseigner (Coran 7 : 154). Il a fait le choix, de manière responsable, de s’éloigner de la situation, de prendre le temps de retrouver son calme avant d’agir.
Alors que son peuple se moquait de lui et menaçait de l’expulser, Loth n’a pas répondu par la violence mais est resté calme en demandant l’aide de Dieu (Coran 26 : 167). Face aux provocations, ne pas réagir immédiatement, mais rester maître de ses paroles et de ses actes permet de maîtriser sa colère.
Le Prophète Muhammad a conseillé à ceux qui ressentent de la colère de privilégier le silence ou de changer de position physique, car cela aide à calmer les émotions et à désamorcer la colère. Selon un hadith : « Si quelqu’un se met en colère et qu’il est en train de parler, qu’il se taise. Si quelqu’un se met en colère et qu’il est debout, qu’il s’assoie. Si la colère persiste, qu’il se couche. » (rapporté par Abu Dawud). Le silence permet de mieux réfléchir avant de réagir, évitant des paroles blessantes et des actions regrettables.
La véritable force réside en la capacité à maîtriser ses émotions et à ne pas céder à la colère. Celui qui est capable de se contrôler dans ces moments-là est véritablement fort : « Ce n’est pas le fort qui l’emporte, mais celui qui maîtrise sa colère. » (al-Bukhari et Muslim).
Deuxième méthode : Les rituels religieux pour s’apaiser et faire preuve de patience
Jonas, après avoir agi sous la colère en quittant son peuple, s’est retrouvé dans l’épreuve du poisson. Il a reconnu son erreur et s’est apaisé par une invocation humble à Dieu et a fait le choix de la repentance et de la reconnaissance de ses torts : « Il n’y a de divinité que Toi ! Pureté à Toi ! J’ai été vraiment du nombre des injustes. » (Coran 21 : 87). Quand la colère monte, prier ou réciter une invocation permet de retrouver le calme.
Le Prophète Muhammad aussi a recommandé de faire ses ablutions ou de prier pour calmer sa colère : « La colère vient du Shaytan, et le Shaytan a été créé à partir du feu. Lorsque l’un de vous se met en colère, qu’il fasse les ablutions. » (Abu Dawud et al-Hakim). L’eau symbolise la purification intérieure. L’eau permet d’éteindre le feu qui bouillonne en nous, dans tous les sens du terme. Faire ses ablutions aide à apaiser son cœur et à diminuer l’impact de la colère.
Le Prophète a enseigné que le jeûne est aussi un moyen efficace de contrôler sa colère, car il oblige à se maîtriser, notamment par réflexe de survie. Quand on jeûne, on doit économiser son énergie et quoi de plus énergivore que de s’énerver. Selon un hadith : « Quand l’un de vous jeûne, il doit éviter de dire des mots vulgaires ou de se mettre en colère. Si quelqu’un l’insulte ou le provoque, qu’il dise : Je jeûne ». » (al-Bukhari). Le jeûne nous rappelle que le contrôle de soi est essentiel pour maintenir la paix intérieure et que, même dans des situations provocantes, il est important de répondre par la patience.
Ces comportements prophétiques entrent en pleine adéquation avec le message coranique qui insiste sur l’effet tranquillisant des invocations et de la prière : « Ceux qui croient et dont les cœurs se tranquillisent au rappel de Dieu. Certes, par le rappel de Dieu les cœurs se tranquillisent. » (Coran 13 : 28)
Troisième méthode : Transformer la colère en un discours juste et argumenté
Abraham était en colère contre l’idolâtrie de son peuple, mais au lieu de crier ou de frapper, il a utilisé un raisonnement logique et des arguments puissants pour dénoncer l’erreur de son peuple (Coran 21 : 67). Si l’on est en colère à cause d’une injustice, utiliser des arguments et un dialogue posé pour faire comprendre son point de vue permet d’éviter d’exploser émotionnellement.
Quatrième méthode : La pardon et l’humilité comme voies vers la tranquillité
La colère est souvent alimentée par l’orgueil et l’arrogance. Quand on se met en colère, très souvent c’est parce que notre amour propre a été blessé ou humilié. La colère s’alimente de notre ego orgueilleux. L’humilité permet de la réduire et de nous élever spirituellement. Lorsqu’il a conquis La Mecque, le Prophète a fait le choix de pardonner à ses anciens oppresseurs alors qu’il aurait pu se venger. Mais il a toujours encouragé le pardon, même lorsque l’on est en colère, car le pardon permet de purifier son cœur et de renforcer sa paix intérieure : « Celui qui pardonne quand il est en colère, Dieu le couvre de Sa miséricorde » (al-Tirmidhi). Pardonner est une action qui apaise l’âme et réduit la colère. Il permet de renforcer les relations avec les autres et de trouver la paix intérieure.
Être responsable de nos émotions
Se mettre en colère ne sert à rien. Quand on se met en colère, notre état émotionnel ne nous appartient plus, notre vie intérieure ne nous appartient plus. Elle appartient au hasard des événements extérieurs, des comportements et des actions d’autrui. Or, le stoïcisme mais aussi le Coran nous enseignent à devenir maître de nos émotions, car la seule chose que nous pouvons contrôler est bien nos émotions et nos comportements.
Faire dépendre nos états émotionnels de ce qui nous arrive, c’est ce que font les enfants. Chez un bébé, les émotions sont calquées sur les événements. Or, grandir, c’est apprendre à différer ses désirs, c’est apprendre à attendre, à patienter, à supporter pour éviter que nos émotions ne nous appartiennent plus.
Grandir, c’est également devenir responsable, à tous les niveaux. Or, la responsabilité individuelle est l’un des piliers du Coran. Le texte le répète : « Nul ne portera le fardeau d’un autre. » (Coran 6 : 164). Nous ne sommes pas responsables du comportement des autres mais uniquement de notre propre comportement : « Toute âme est responsable de ce qu’elle a acquis. » (Coran 74 : 38).
Dans la vie, il y a ce qui dépend de nous, nos émotions, et ce qui ne dépend pas de nous. Donc nous sommes aussi les seuls responsables de notre colère. Quand nous sommes en colère, nous avons autorisé la colère à naître en nous. Alors que faire ? Agir rationnellement ou tout simplement supporter avec patience. Or, supporter n’est pas une défaite. La faiblesse, c’est au contraire de se laisser submerger par les émotions. Supporter, pardonner, passer à autre chose, ce n’est pas une faiblesse, c’est une force. C’est la force de parvenir à se détacher. C’est ne pas laisser son âme être déstabilisée par les aléas insignifiants de la vie quotidienne et par les comportements d’autrui. C’est justement atteindre cette paix intérieure, cet état paradisiaque.
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