Prêche #30 « Les anges en islam » (21 janvier 2022, Louise Gallorini)
Aperçu de la présence des anges dans le Coran
En islam, les anges font partie des articles de foi, comme le Coran le suggère à plusieurs reprises, et nous les retrouvons en général tout au long du texte, c’est aussi eux que l’on salue à la fin de chaque prière – mais ils font rarement l’objet d’études ou de discussions à part entière, ils restent assez discrets.
Dans la littérature religieuse en arabe, ce n’est qu’au début du 16eme siècle avec al-Suyuti que l’on voit apparaître un traité sur les anges, Al-Ḥabāʾik fī akhbār al-Malāʾik, qui est une compilation des divers Hadiths et récits les concernant. Finalement, les anges restent assez discrets. Et pour cause, une lecture attentive du Coran fait apparaître les anges dans certains rôles, dans une fonction d’accompagnement, et rarement en étant le point focal de l’action. Le Coran mentionne d’ailleurs la création des hommes et des jinns (15 : 26-27), respectivement de terre meuble et de feu, mais il ne dit rien sur celle des anges. C’est dans un Hadith (Saḥīḥ Muslim, hait n°2996) que l’on retrouvera plus tard l’idée que les anges sont créés de lumière. Le Coran ne décrit les anges d’ailleurs que dans un seul verset, qui mentionne le nombre de leurs ailes :
A Dieu la louange, le Différenciateur originel des cieux et de la terre, Lui qui prend pour messagers des anges dotés de deux , de trois, de quatre ailes. Il ajoute ce qu’Il veut dans la Création. Vraiment, Dieu, Puissant sur toute chose ! (Coran 35 : 1)
Les anges dans le Coran apparaissent dans deux catégories de versets : d’une part les versets mentionnant clairement les anges avec les mots malak ou le pluriel malā’ika, ou par les rares mentions de nom propres, tels que Gabriel et Michael ; et d’autre part la catégorie des versets que j’appelle “équivoques” dans le cas des anges, car ils ne les désignent pas clairement, mais par comparaison avec d’autres versets ou par extrapolation, le lecteur ou la lectrice pourra y voir un ange. Ces versets équivoques sont importants, car beaucoup de commentaires ultérieurs les interprètent comme s’agissant des anges, et il s’agit parfois de scènes clés de l’imaginaire religieux. C’est le cas de Mâlik, le gardien des enfers, généralement compris comme étant un ange, alors que le Coran ne le précise pas dans le passage qui le mentionne. C’est aussi le cas des messagers envoyés à Abraham, histoire que l’on retrouve à plusieurs reprises dans le Coran (15 : 51-62), et que la grande majorité des interprètes comprend comme étant des anges : pourtant le Coran ne précise qu’une seule chose, ces messagers ne mangent pas de nourriture humaine.
Lorsque le Coran est révélé en Arabie du 7ème siècle, les anges sont déjà connus, ne serait-ce que par les communautés juives et chrétiennes déjà existantes dans la péninsule arabique. Il semblerait également que l’existence du mot “ange” (malak) existait dans les autres communautés. En revanche, les anges dans le Coran sont le lieu de deux changements cosmologiques importants : le mot “malak” avant le Coran semblait pouvoir désigner autant une fonction qu’une catégorie d’êtres, c’est-à-dire un envoyé, qu’il soit humain ou céleste (ce qui est le cas dans la Bible hébraïque également). Le Coran en revanche opère une distinction entre l’envoyé, rasūl, qui est sélectionné par Dieu parmi les hommes, et l’ange, malak, qui est un envoyé céleste, créature à part entière (et on retrouve cette différence dans le Christianisme avec le latin, entre angelus et nuntius).
Le deuxième changement de la vision cosmologique apportée par le Coran se retrouve à un niveau interne de celui-ci : les anges remplacent les djinns comme émissaires célestes. Dans l’Arabie pré-islamique, il semble que les devins avaient recours au djinns pour obtenir des informations célestes, mais ces informations auraient été partielles ou mauvaises. Dieu envoie donc les anges comme messagers fiables, et ferme l’accès aux cieux pour les djinns (72 : 8-9). La vision commune est que les jinns seraient un élément mythique typiquement arabe, originellement ni bons ni mauvais, là où les anges seraient une “importation” monothéiste, un peu comme les daimons de la Grèce antique qui seront ensuite transformés en démons dans le monde chrétien ; tout comme les djinns ont acquis d’ailleurs avec le temps une mauvaise réputation dans le monde islamique. Quoi qu’il en soit, la frontière entre ces deux catégories d’êtres invisibles est complexe, et sujette à débat : étymologiquement les djinns viennent de la racine arabe J-N-N, qui désigne ce qui est caché ou invisible, tout comme le Paradis, Janna, lui aussi de cette même racine. C’est ainsi que les savants classiques dans le monde islamique ont pu voir dans le mot djinn une désignation plus large, incluant à la fois djinns et anges, là où d’autres considèrent les djinns comme une sous-catégorie d’anges. Le diable, Iblīs ou Satan, reflète cette ambiguïté dans le Coran : il est à la fois suggéré comme faisant partie des anges originellement (2 : 34 ; 38 : 73-74), mais un autre verset le classifie comme faisant partie des djinns (18 : 50). Cela a donné voie à diverses interprétations ultérieures. Le Coran dans tous les cas redéfinit les places de chacun clairement : les djinns vivent parallèlement à nous sur terre, tout comme Satan, sur le même plan, mais de façon invisible, tandis que les anges constituent une des voies de médiation du divin, entre les cieux et la terre, mais une médiation toute à la fois très discrète et omniprésente.
En listant les différentes apparitions d’anges dans le Coran, nous pouvons les regrouper sous différentes fonctions. C’est ainsi qu’ils ont ce qu’on pourrait appeler une fonction narrative, où l’on voit les anges aider Dieu ou les humains, ou bien, parfois, combattre les hommes comme lors de la bataille de Badr – le Coran dit qu’il y avait alors trois mille anges (3 : 121-125). Cette fonction narrative est notamment celle qui inclut un rôle que l’on connait habituellement, qui est celui d’anges gardiens :
Aucune âme qui n’ait auprès d’elle un gardien. (Coran 86 : 4) (voir également 6 : 61)
Ils ont également une fonction théologique, où la présence d’anges contribue à définir le credo islamique :
La vertu foncière est celle de quiconque croit en Dieu, au Jour Dernier, aux Anges, aux Ecritures et aux Prophètes (Coran 2 : 177)
Leur présence dans de nombreux versets donne une image de Dieu proche des créatures, ne plaçant aucun intermédiaire doté de volonté indépendante entre elles et Lui. Les anges peuvent être toutefois intercesseurs pour les hommes, mais le pardon ne dépend que de Dieu seul :
Or, que d’anges dans les cieux dont l’intercession n’est dispensée que lorsque Dieu a donné Son accord à qui Il veut et qu’Il agrée ! (Coran 53 : 26)
C’est sur ce point théologique que la fameuse controverse des versets sataniques se place : Dieu refuse des “sous-divinités” entre lui et les hommes, toutes angéliques ou prophétiques qu’elles puissent être (“Et Il ne vous ordonne pas de prendre les anges et les prophètes comme seigneurs. Vous ordonnera-t-Il de dénier après vous êtres soumis ?” 3 : 80), car il se veut en contact avec le croyant, sans intermédiaire – tout comme Il refuse de donner un genre ou un sexe aux anges, comme pour ancrer l’idée que les anges sont avant tout ses fidèles messagers, autres que nous humains, anges comme esprits purs et multiformes. Ils sont déjà un peu au delà des frontières de notre imagination, comme une zone de transition entre nous et le divin infini et inconnaissable. Pour ce qui est du sexe, je précise que si le Coran insiste sur le fait qu’ils ne sont pas féminins (37 : 150), il n’affirme jamais clairement qu’ils sont masculins non plus, les laissant dans une relative neutralité – et ensuite, dans les commentaires coraniques ultérieurs, la grammaire utilisée pour les anges est très variable, alternant le masculin pluriel avec le féminin singulier, parfois le féminin pluriel, selon les règles de la grammaire arabe assez souples en la matière, ce qui renforce une idée de variabilité mais surtout de non-pertinence du débat en ce qui concerne les anges: ils n’ont pas de corps fixe, donc pas sexe fixe.
Les anges dans le Coran on également une fonction de pratique religieuse, comme modèles pour les croyants, où les anges illustrent ce qu’il est attendu d’eux, notamment dans les nombreux passages où ils font montre d’obéissance. L’obéissance angélique n’est pourtant pas sans questionnements, comme le montre le passage de la création d’Adam (2 : 30-34) : les anges semblent vouloir bien obéir, mais semblent tout de même questionner la pertinence de la volonté divine! Ils ne comprennent pas pourquoi Dieu envoie comme régents de telles créatures (les hommes), pleines de défauts, sur terre, alors qu’ils sont eux parfaitement obéissants. Seul celui qui refuse l’explication, c’est-à-dire la limite de leurs connaissances, se retrouve puni. Il s’agit de Satan, alors que les autres acceptent cette explication qui pointe leur ignorance – et donc par là même nous donne une leçon sur les conséquences du choix entre arrogance et humilité face à un phénomène incompréhensible.
La fonction cosmologique sera celle où la présence d’anges redéfinit la vision du monde offerte par le Coran, comme nous l’avons vu avec les djinn qui perdent leur rôle de messager au profit des anges.
Cette fonction classique de messager est sans doute l’une des principales, que l’on retrouve dans les trois monothéismes, où les anges sont envoyés par Dieu à différents prophètes. Parmi eux, on peut noter que l’ange messager est un des aspects qui qualifie généralement les prophètes, et donc la vierge Marie est considérée comme prophète aux yeux de certains auteurs musulmans : Gabriel lui annonce la naissance de Jésus, Parole de Dieu (3 : 45), tout comme Gabriel apporte le Coran, Parole de Dieu, au Prophète.
On trouve également la fonction angélique de test ou d’enseignement : le Diable rentre bien entendu dans cette catégorie, défi pour l’humanité (15 : 32-43), mais on trouve également dans le Coran les deux anges Hârût et Mârût. Dans le verset 2 : 102, ces deux anges sont envoyés par Dieu du temps de Babylone pour enseigner aux hommes ce qui semble répréhensible, comme la magie, mais en précisant qu’ils ne font cela qu’avec la permission divine:
Or eux deux n’enseignaient à personne sans dire ‘Nous sommes seulement une épreuve, aussi ne dénie pas.’ (Coran 2 : 102)
On retrouve là l’idée que les anges obéissent strictement à Dieu, même pour des actions qui nous paraissent ambiguës. Mais là où les noms de ces deux anges sembleraient venir des traditions zoroastriennes, les commentateurs plus tard expliqueront presque systématiquement ce verset avec des éléments narratifs qui font faire écho à une tradition chrétienne, la version éthiopienne du livre d’Hénoch, et qui a pour thème les anges déchus qui se corrompent au contact de l’homme. Pourtant ce verset, qui est long, ne va pas si loin : si l’on s’en tient au texte coranique, ces deux anges semblent au contraire rester des émissaires divins en mission, et seuls les hommes ont la liberté de faire le bien ou le mal avec ce qui leur est enseigné.
Dernier point sur les anges dans le Coran, il y a également le cas de Gabriel (Jibrīl) et Michael (Mīkāl), une des rares occurrences où le Coran donne des noms propres aux anges, et ces deux-là sont les seuls en commun avec la Bible. Il apparaissent dans des versets clés de credo dans la deuxième sourates (2 : 97-98), mais le Coran décrit très peu leurs rôles, outre celui de transmetteur du Coran pour Gabriel (c’est ainsi que le verset 97 de la deuxième sourate est généralement compris), et c’est la tradition ultérieure qui se chargera de leur donner différents rôles.
La fonction symbolique des anges dans le soufisme
La lecture du Coran aujourd’hui induit une dimension interprétative automatique, puisqu’on le lit dans un espace temps différent de son contexte initial. Notre regard construira ou reconstruira un sens et un lien entre le texte et notre contexte personnel, en fonction de nos connaissances, de nos impressions, de nos émotions, de notre vécu… On cherche souvent à s’appuyer sur des avis plus savants, ou que l’on considère comme tels, pour interpréter correctement tel ou tel passage. Et il y a bien des passages coraniques quelque peu obscurs, et qui l’étaient déjà par le passé – même assez rapidement lors de l’expansion arabo-islamique, et c’est pour cela qu’au cours des siècles s’est constitué le genre littéraire du tafsīr, ou commentaire du Coran. On peut le comprendre dans le sens strict du commentaire verset par verset, tout comme dans le sens plus large de toute oeuvre ayant pour appui de base le Coran.
Pour ce qui est des anges, les commentaires soufis sont particulièrement intéressants. Si pour les philosophes comme Avicenne ou al-Farabi les anges sont vus comme des allégories de concepts philosophiques classiques, tel un vocabulaire liant qui permet de faire correspondre la philosophie aux concepts islamiques, les penseurs soufis classiques font intervenir les anges à plusieurs niveaux de lecture à la fois. Ces niveaux de lectures font penser à des traditions que l’on retrouve avec des variations dans les trois monothéismes, selon lesquelles l’interprétation du texte sacré a quatre niveaux de lectures (par exemple : un littéral, un symbolique, un prescriptif, un spirituel). Pour des auteurs tel que al-Sulamī, (qui est mort il y a 1000 ans cette année), ou pour Ibn ‘Arabī, les anges sont à la fois des êtres réels, invisibles, qui existent à part entière, selon une lecture littérale exotérique du Coran, mais ils sont aussi des allégories pour les philosophes, ou encore des symboles de divers ordres, selon une lecture ésotérique ou mystique du Coran. Ils deviennent plusieurs choses à la fois, de façon apparement contradictoire, à la fois réels et symboliques. C’est là que les anges acquièrent, en plus de leurs fonctions coraniques classiques, une fonction ésotérique, symbolique.
Cela ressort de l’acte interprétatif lui-même, qui ajoute en quelque sorte un recul réflexif sur le verset, lorsque l’auteur choisit de voir dans un verset particulier une signification multiple, et donc, sur les versets des anges, l’auteur peut être amené à y voir des métaphores, des symboles, ou tout autre chose que l’ange en tant qu’être spirituel de lumière, c’est-à-dire l’ange tel qu’on peut le comprendre à une première lecture du Coran. Par exemple, sur le seul verset qui donne une description des anges (Coran 35 : 1) précédemment cité, comme ayant 2, 3 ou 4 ailes, l’auteur soufi Ruzbihān al-Baqlī explique qu’il s’agit des caractéristiques des esprits saints, les ailes devant des métaphores : telles que l’aile de la connaissance, l’aile de l’unité, l’aile de l’amour, l’aile du désir – là où d’autres comme Ibn Barrajān, pourtant considéré comme soufi, resteront très pragmatiques, en expliquant que le verset veut dire 2, 3 ou 4 paires d’ailes, car on ne saurait imaginer qu’un ange puisse voler avec 3 ailes. D’autres encore y verront précisément un exemple pour le croyant de la perplexité que peut induire la Création, sans pousser plus loin le questionnement, à l’image des anges lors de la création d’Adam. Sur d’autres versets, les commentateurs soufis voient dans les anges des symboles d’attitudes spirituelles ou d’états spirituels, par exemple al-Qushayrī voit dans l’ange de la mort une illusion pour ceux dont le coeur est conscient – c’est-à-dire conscient que la mort n’est qu’une étape – l’ange de la mort n’étant donc un symbole ou une réalité que pour ceux dont le coeur est voilé à la vérité divine.
Pour ce qui est du commentaire au sens plus large, on trouve par exemple les récits d’ascension céleste de certains soufis, sur le modèle de l’ascension céleste du Prophète, récit lui-même basé sur quelques versets du Coran qui ne donnent que très peu de détails (17 : 1 et 53 : 1-18), mais dont les Hadith formeront la plus large part. On trouve ainsi dans les récits de l’ascension céleste de al-Bistāmī et Ibn ‘Arabī beaucoup d’anges : chez al-Bistāmī, ils auront notamment la caractéristique de tester le croyant sur son chemin spirituel, et curieusement en le tentant par des moyens – certes louables – tel que prier avec eux dans certains cieux. Ils essaient de le détourner de son chemin par tous les moyens, y compris ce qui est socialement et religieusement recommandable – une leçon intéressante sur le pouvoir des apparences et des illusions. Dans le récit d’Ibn ‘Arabī en revanche, les anges tiennent le rôle plus classique de guide ou “balises” sur le chemin. L’ aspirant mystique doit alors suivre ces balises, des étapes spirituelles, dont certaines sont dites angéliques, et en acquérir les caractéristiques au fur et à mesure.
Dans son ouvrage “Les illuminations de la Mecque”, Ibn ‘Arabī disserte largement sur les anges, et à la suite d’autres auteurs, il entre dans un long débat sur une question qui a occupé beaucoup de théologiens: qui est supérieur entre l’ange et l’homme ? Il tranche avec une vision personnelle qu’il relate avoir eue d’une discussion avec le Prophète: les anges sont meilleurs (afḍal), par contre, les hommes sont plus complets (akmal), ce qui veut dire que les anges ont des rôles fixes et d’une nature “simple”, et sont vertueux de nature, tandis que l’homme est changeant et de nature “complexe”, plein de potentialités et donc possiblement pire qu’une bête ou meilleur qu’un ange, selon ses choix.
Ibn ‘Arabī constitue aussi un système hiérarchique angélique précis, en trois niveaux : il y a des anges qui ignorent tout du reste de la création, comme les séraphins, adorant Dieu; ensuite une catégorie d’anges dédiés à la création, qui aident au bon fonctionnement du cosmos; et pour finir une catégorie d’anges dits gouvernants, qui pourraient inclure les humains, en tant qu’esprits gouvernant des corps. S’agissant des humains, Ibn ‘Arabī semble maintenir une ambiguïté voulue : tantôt il décrit l’esprit humain comme un ange, dont le corps sert de voile interposé nous empêchant de voir nos propres ailes – tantôt il précise que nos esprits, n’ayant pas reçu de fonction de messager, ne peuvent être décrit comme angéliques que de façon métaphorique. On retrouve là la caractéristique de l’homme comme être de potentialités: ce qu’il est dépend de ce qu’il choisit de devenir.
Le système angélique d’Ibn ‘Arabī est également présenté en parallèle à une hiérarchie humaine plus complexe. Dans cette hiérarchie, certains hommes et certaines femmes dans cette hiérarchie spirituelle sont dits être “sur le coeur de Gabriel”, ou “sur le coeur” de Michael, ou Séraphiel, ou tout autre ange ou prophète. C’est une expression qui traduit une façon d’être ou l’héritage spirituel particulier de ces personnes mystiques. Par exemple il nous dit que al-Bistâmî était “sur le coeur de” Séraphiel, c’est-à-dire avec la caractéristique de rassembler les contraires.
Autre exemple de la fonction symbolique des anges chez Ibn ‘Arabī, est l’exemple des paroles et des actes humains. Si quelqu’un dit ou fait quelque chose de mauvais, Dieu transforme cette parole ou acte en ange de rétribution ou de vengeance, mais si la personne se repend de cette parole ou de cet acte, cet ange est alors transformé en ange de compassion. Et si la personne se repend sincèrement de tout acte mauvais ou parole mauvaise qu’il a pu commettre dans sa vie, tous ses actes et paroles sont alors transformés en anges de compassion. Ce thème de compassion est dans tous les cas central chez Ibn Arabī, connu par exemple pour avoir adopté l’idée d’un enfer fini, un enfer temporaire qui finira par être englobé lui aussi par la compassion divine à la fin des temps. Pour en revenir à ces anges créés ainsi par l’homme, par ses actes et ses paroles, Ibn ‘Arabī dit qu’ils constituent la dernière création divine, après avoir créé toutes les autres catégories de créatures, dont l’homme.
Les anges sont donc pour lui à la fois des créatures réelles et séparées du reste des créatures, comme selon la lecture exotérique du Coran, mais ils sont aussi le coeur ou l’esprit des choses, l’esprit des Noms Divins, l’esprit des lettres de l’alphabet, de divers concepts religieux et philosophiques, tout comme ils sont aussi à l’origine du mouvement des astres. Il sont aussi les symboles des étapes de la progression spirituelle de l’âme humaine. Ils symbolisent aussi le point de contact entre le divin et l’humain lors des inspirations divines reçues, le point de contact entre les mondes, leur fonction de messager réduite au minimum de sa signification. Les anges comme esprits des Noms Divins sont d’ailleurs l’explication de la théodicée d’Ibn ‘Arabī, ou l’explication de l’existence du mal, apparement contradictoire avec le fait que Dieu soit bon et tout-puissant: chaque ange accompli une mission, mais chaque mission ou Nom Divin n’étant pas forcément compatible avec celles des autres missions ou Noms divins – du moins pas en tous temps et tous lieux terrestres. Ces mouvements peuvent alors produire des frictions ou aboutir à des interactions négatives et c’est ce qu’il appelle la dispute angélique, un terme qui réfère à un passage du Coran (38 : 69) généralement interprété comme s’agissant d’anges. Cette dispute angélique se traduit par une incompréhension au niveau humain, bien que toutes ces dynamiques ait un sens et une raison d’être au niveau divin. Pour terminer, plutôt qu’un appel au fatalisme face au mal, on peut y voir aussi un appel à l’action, les anges, en tant qu’aides invisibles, en tant que Noms Divins ou encore en tant qu’actes humains, pouvant nous donner des signes sur le chemin à suivre.