Prêche #22 « Le sens et les modalités du jeûne du mois de Ramadan » (Anne-Sophie Monsinay, 16 avril 2021)
Le sens spirituel du jeûne
Le jeûne renvoie à l’idée d’un retrait du monde et de notre quotidien. « Saoum » signifie « jeûner, s’abstenir, faire abstinence, chômer, se taire, se calmer ».1 En se privant d’un élément vital pour le corps, nous l’affaiblissons et apprenons à le maîtriser. Nous sommes moins soumis à notre corps, à ses désirs, à notre mental, à notre ego et plus en phase avec notre état divin. En délaissant notre corps, nous nous détournons de ce qui contient notre incarnation et nous ancre dans ce monde. Nous favorisons des états spirituels plus poussés et plus propices à nous relier à l’Unité. Cela ne doit être qu’occasionnel car nous sommes sur terre pour vivre notre incarnation et nous réaliser dans notre corps. Néanmoins, le jeûne est un bon outil pour développer des facultés spirituelles, avec pour objectif de conserver les effets bénéfiques du mois de jeûne à l’issu de celui-ci.
Paradoxalement, ce délaissement du corps entraîne en réalité une plus grande attention à celui-ci. Nous prenons davantage conscience de notre état physique, de notre force ou faiblesse physique avant de prendre conscience de la force spirituelle prodiguée par le jeûne. Les aliments consommés au moment de la rupture du jeûne le sont avec plus de conscience et ont un effet plus immédiat et ressenti sur notre corps. Par exemple, le jeûne sera vécu avec plus de difficultés au lendemain d’un repas trop copieux ou inadapté.
Le jeûne permet également d’expérimenter le dénuement et l’ascèse alimentaire. Il renforce ainsi notre humilité en nous plaçant dans la même situation que des personnes qui n’ont pas les moyens de se nourrir convenablement. Il nous rappelle ainsi que le corps peut se contenter de peu et que seul Dieu subvient à nos besoins. Nous sommes éprouvés physiquement mais nous savons que nous aurons à manger en fin de journée. Le corps est ainsi remis à sa place : il est un outil de notre développement spirituel et il n’est plus le centre du monde. Il ne doit pas accaparer tout notre temps.
La spécificité du jeûne du mois de Ramadan est qu’il correspond au mois de la Révélation du Coran. Se priver à ce moment là de nourriture, élément vital et indispensable à notre survie est aussi une façon de remercier Dieu pour cette Révélation et pour la guidance qu’Il nous offre tout au long de l’année. Parmi tous les sens spirituels que nous pouvons trouver au jeûne, celui de la reconnaissance et du remerciement est le seul qui est évoqué dans le Coran :
Il vous appartient de parfaire ce nombre (de jour) et de magnifier Dieu de vous avoir guidés ! Puissiez-vous être reconnaissants ! (Coran 2 : 186)
Comment manifester notre reconnaissance à Dieu ? Comment le remercier pour la guidance et l’amour qu’Il nous offre au quotidien ? La seule chose que nous pouvons offrir à Dieu est ce sacrifice d’un plaisir gustatif corporel, le sacrifice de notre eau et de nos graisses, offertes à Dieu comme marque de notre amour pour Lui.
Le jeûne permet également de renforcer notre lien à la nature car à cette période de l’année, notre rythme alimentaire et de sommeil est calqué sur le rythme solaire. Le coucher du soleil et l’aube deviennent des moments délimitant nos repas. Nous avons ainsi pleinement conscience du début et de la fin de la journée. Cette communion avec la nature et sa cyclicité naturelle, en plus d’être bénéfique pour notre corps, nous relie à la transcendance par l’alignement temporel de nos pratiques spirituelles et de notre rythme biologique et alimentaire. En ce sens, Eva de Vitray-Meyerovitch déclare : « Chaque créature, visible ou invisible, rend grâce. En s’accordant au mouvement des astres, en se réglant sur l’apparition de la lune pour déterminer le début et la fin du jeûne du Ramadan, et sur le soleil pour fixer les heures de la prière, le musulman s’associe à la Création tout entière adorant son Créateur. »2
Un jeûne complet, fréquemment réalisé par les soufis, s’accompagne d’une retraite spirituelle. C’est par cela que l’intégralité du sens du mot « saoum » est appliquée. Le retraitant jeûne en se privant d’eau et de nourriture, ne travaille pas, calme son esprit, se tait par un engagement au silence le temps de la retraite et consacre son temps aux pratiques spirituelles et dévotionnelles, à la prière, au dhikr, aux lectures spirituelles, à la méditation et à un état de présence permanent. Ces temps de jeûnes et de retraites nous permettent d’observer nos structures mentales et nos pensées avant de nous mener vers un état de conscience différent, détaché du corps – état dans lequel nous allons beaucoup plus facilement à l’essentiel, à l’essence des choses. La sourate Myriam associe directement le terme de jeûne (sawman) au silence que Marie consacre à Dieu alors qu’elle vient d’accoucher de Jésus et qu’elle se nourrit pourtant de dattes :
Secoue vers toi (Marie) le tronc du palmier, il en tombera sur toi des dattes mûres et succulentes. / Alors, mange et bois et que ton œil se réjouisse. Si alors tu devais voir quelque humain, dis : « Vraiment, moi, j’ai voué un jeûne au Tout-Rayonnant d’Amour, aussi, en ce jour, aux humains je ne parlerai pas. (Coran 19 : 25-27)
L’accouchement n’est pas le moment le plus propice pour jeûner. Le corps est fatigué et il a besoin de nourriture pour constituer le lait qui nourrira l’enfant. Par conséquent, Marie s’engage à un jeûne de silence pour remercier Dieu de la naissance de son enfant. Elle sacrifie son lien social pour se tourner vers l’adoration et la dévotion. Ce verset indique à la fois le lien étroit entre le jeûne alimentaire et la retraite spirituelle (silence, chômage, calme) tout en montrant les différentes modalités de jeûne possible. Il est possible de jeûner en suivant l’une ou l’autre des modalités ou en les réunissant toutes.
Le Coran indique qu’au début de l’islam, les musulmans réalisaient une retraite « dans les mosquées » pendant le mois de Ramadan. Cela est confirmé par un hadith qui montre l’importance de cette pratique à l’époque du Prophète : « D’après ‘Aïcha, le Prophète fit la retraite spirituelle pendant la dernière décade du mois de Ramadan jusqu’à sa mort. Ses femmes, après sa mort, continuèrent à faire la retraite spirituelle. » (Sahih Boukhari). Le verset coranique évoquant les retraites du mois de Ramadan traite plus largement de l’autorisation ou plutôt de la dérogation permettant d’avoir des rapports sexuels pendant les nuits du mois de Ramadan :
Les comportements d’intimité envers vos femmes vous ont été rendus licites pendant la nuit de jeûne. Elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles. Dieu sait que vous vous êtes trahis vous-même, alors Il a fait retour à vous et vous a pardonnés. Ayez un contact réjouissant avec elles et désirez ardemment ce que Dieu a prescrit pour vous, et mangez et buvez jusqu’à ce que le fil blanc se distingue du fil noir au lever du jour. Puis parachevez le jeûne jusqu’à la nuit, et n’ayez pas de rapports intimes avec elles tandis que vous partagez une retraite dans les mosquées. Voilà les limites que Dieu pose ! Alors ne les approchez point ! C’est ainsi que Dieu rend explicites Ses Signes aux humains ! Puissiez-vous prendre garde ! (Coran 2:187)
Ce verset nous montre qu’il y avait des retraites organisées pour tous les musulmans et pas seulement les soufis. Or, aujourd’hui cette pratique a pour beaucoup été abandonnée. Tout d’abord, les mosquées ne le proposent plus forcément et les contraintes professionnelles font qu’il n’est pas toujours aisé de se libérer une semaine pendant le Ramadan. Dans ce cadre là, la retraite est collective et associée au jeûne ainsi qu’à une certaine ascèse – sexuelle et alimentaire. Elle correspond à un moment spirituel clef qui est le mois de la révélation du Coran. Il s’agit de profiter pleinement du mois de Ramadan pour se consacrer entièrement à Dieu, se couper de la matérialité – symbolisée ici par les besoins du corps – et de s’approcher des conditions dans lesquelles étaient le Prophète lorsqu’il a reçu la révélation, en retraite dans sa grotte.
Les modalités pratiques du jeûne du mois de Ramadan
1) Les relations sexuelles pendant le mois de Ramadan
En lien avec le verset précédent, remarquons que l’autorisation des relations sexuelles pendant les nuits du mois de Ramadan est une dérogation ou un allégement des règles initiales du jeûne du mois de Ramadan. Le terme « Saoum » renvoie à l’idée de l’abstinence aussi bien alimentaire que sexuelle. Un mois de jeûne se doit normalement d’être abstinent sexuellement. Néanmoins, d’après la sourate 2 : 187 cité précédemment, peu de musulmans suivaient la prescription :
Dieu sait que vous vous êtes trahis vous-même, alors Il a fait retour à vous et vous a pardonnés. (2 : 187)
Dieu a donc allégé la prescription pour autoriser les relations sexuelles la nuit du mois de jeûne, exception faite pour les retraites. Libre à chacun de s’en priver pour renforcer le jeûne durant ce mois sacré.
2) Les horaires du jeûne
Aujourd’hui, nos horaires de jeûne sont fixés avec une grande précision. En réalité, le Coran est beaucoup plus vague :
Mangez et buvez jusqu’à ce que le fil blanc se distingue du fil noir au lever du jour. Puis parachevez le jeûne jusqu’à la nuit. (2 : 187)
L’aube est délimitée par la perception du fil blanc et du fil noir. Deux interprétations sont possibles : il s’agit de distinguer un éclaircissement dans le ciel, un « fil blanc » ou bleu marine plus clair que la nuit noire. Ou alors, il s’agit de distinguer dans la nuit la couleur d’un vêtement blanc. Quelque soit l’interprétation choisie, elle suppose un éclaircissement du ciel, aussi léger soit-il. Il existe 3 catégories d’aubes :
– l’aube astronomique (soleil à 18 degrés sous l’horizon) : disparition des étoiles les plus lointaines, le ciel ne s’éclaircit pas, elle n’est pas perceptible visuellement.
– l’aube nautique (soleil à 12 degrés sous l’horizon) : le ciel commence à s’éclaircir et les premières lueurs de l’aube peuvent être discernées.
– l’aube civile (soleil à 6 degrés sous l’horizon) : les objets environnant sont tous visibles, l’éclairage artificiel s’éteint, la lune et les étoiles les plus brillantes sont encore visibles.
En général, la prière de fajr et le début de la journée de jeûne sont indiqués selon l’aube astronomique. Or, cette dernière n’étant pas perceptible visuellement, elle ne permet pas de distinguer le fil blanc du fil noir et ne correspond donc pas à la description coranique. Le Coran semble plutôt décrire l’aube nautique car les premiers objets sont identifiables. A l’époque de la Révélation coranique, il n’y avait évidemment pas de calcul à l’avance de l’aube. Tout se faisait selon l’observation. La prière de fajr devait donc être déterminée entre l’aube nautique et l’aube civile.
Concernant la rupture de jeûne, le Coran demande de parachever le jeûne jusqu’à la nuit « layl ». Ce terme est très imprécis. Il peut d’un côté désigner la période allant du coucher au lever du soleil, ou bien la nuit astronomique, intercalée entre le crépuscule et l’aube. La question est alors de savoir si le coucher de soleil peut être considéré comme la nuit. Les avis divergent. Les théologiens sunnites ont tranché pour le couché de soleil, alors que les chiites attendent le crépuscule pour rompre leur jeûne (environ 40 minutes après le coucher du soleil, après la prière de maghreb). Le crépuscule se distingue du coucher de soleil par l’apparition des premières étoiles.
3) Les modalités sociale, spirituelle et alimentaire
Les textes saints nous encouragent à pratiquer le jeûne en toute discrétion notamment lorsqu’il est réalisé en société. Le jeûne vise également d’après le Coran à remercier Dieu pour le don de Sa révélation. (« Puissiez-vous être reconnaissant »). Remercier Dieu de nous avoir guidé vers Sa Parole ne peut se faire que dans l’intimité et en tout discrétion. Le jeûne est le secret que nous partageons avec Dieu. Ainsi, un jeûneur ne saurait faire preuve d’ostentation quant à son état. C’est le rappel que fait Jésus dans l’Evangile selon Matthieu :
Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. Mais quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. (Matthieu 6 : 16-18)
A défaut de pouvoir faire une vraie retraite pendant le mois de Ramadan qui engloberait le jeûne, le silence et le chômage, le jeûne dans nos sociétés occidentales invite à réduire toutes les formes de consommations et de divertissements afin de revenir à l’essentiel. Ce qui ne veut pas dire que nous devons nous couper de toutes relations sociales pendant le Ramadan car le lien à l’autre est aussi une pratique spirituelle. Mais nous pouvons choisir de privilégier des temps de pratiques spirituelles collectives ou des cercles de réflexion sur le Coran avant la rupture du jeûne en communauté par exemple.
Le mois de Ramadan invite à réduire sa consommation et son lien à la matière. Les repas de rupture de jeûne se doivent de rester dans cet état d’esprit et se limiter à une alimentation modeste et en quantité raisonnable. Il n’est pas normal que certains voient leur consommation alimentaire augmenter en période de Ramadan. Au contraire, celle-ci devrait se réduire considérablement à cette période pour se limiter aux aliments de base. Certains aliments comme la chair animale n’étaient consommés qu’à certaines occasions à l’époque du Prophète. A défaut de réduire complètement sa consommation de viande, le mois de Ramadan peut être l’occasion de s’en priver afin de la retrouver à la fête de la rupture de jeûne (Aïd el-fitr). La même réflexion peut être amorcée sur les sucreries.
4) Repenser les aménagements du jeûne du mois de Ramadan
Le Coran prévoit des aménagements pour le mois de jeûne. Ces derniers avaient pour but de faciliter le jeûne quand les conditions extérieures rendaient celui-ci trop contraignant. La maladie physique ou le voyage permettent ainsi de ne pas jeûner et de rattraper les jours manqués ultérieurement. Les voyages à l’époque du Prophète se faisaient dans le désert à dos de chameau sous un soleil de plomb. Le jeûne devient dans ces conditions particulièrement difficile voire dangereux. Aujourd’hui, nos transports ne ressemblent en rien aux voyages de l’époque de la Révélation. Les avions et trains climatisés ne sont raisonnablement pas comparables à ce que vivaient les premiers musulmans. En revanche, nous vivons dans d’autres conditions qui pourraient amener à de nouvelles exceptions et adaptations. Chacun fera bien sûr son propre choix en fonction de son mode de vie et de ses capacités. Les événements demandant une grande consommation d’énergie et/ou de stress tels qu’une compétition sportive ou un examen s’apparentent aux difficultés liées au voyage à l’époque de Muhammad et peuvent justifier un report du jeûne. En France, le passage à l’heure d’été crée un décalage important entre les horaires naturels du cycle solaire donc du jeûne et les horaires de travail. Pour les personnes qui ont une activité professionnelle prenante et ne peuvent en adapter les horaires au moment du Ramadan, il en résulte souvent une grande fatigue principalement liée au manque de sommeil du fait des horaires décalés de la vie active. Lorsqu’une adaptation du rythme professionnel n’est pas possible, il peut être préférable pour certaines personnes d’adapter les horaires du jeûne afin de pouvoir tenir dans la durée sans sacrifier de manière conséquente leur temps de sommeil. Le lien à la cyclicité naturelle sera perdu mais les facultés spirituelles et cognitives préservées, et les vertus du jeûne plus conséquentes.
5) Est-il interdit de jeûner pendant les menstrues ?
La tradition considère qu’il est interdit pour une femme de jeûner pendant ses menstrues. Là encore, chacune fera son propre choix selon ses convictions et ses besoins spirituels. Toujours est-il que le Coran est loin d’être explicite à ce sujet. Le Coran déconseille les rapports sexuels pendant les règles d’une femme en considérant cela comme une indisposition.
Ils t’interrogent quant aux règles. Réponds : « C’est une indisposition (adhâ). Écartez-vous donc des femmes durant les règles et ne les approchez qu’une fois qu’elles ne les ont plus (yathurna). Et, lorsqu’elles se sont nettoyées (tatahharna), venez à elles comme Dieu vous l’a ordonné. Certes, Dieu aime ceux qui se repentent et Il aime ceux qui se purifient (al–mutahhirîn). (Coran 2 : 222)
Le terme « adhâ » est souvent traduit par « impureté ». Or, ce sens ne se trouve pas dans ce mot. Ce terme renvoie à l’idée d’un « dommage, d’un tort, d’un mal, d’une indisposition ». Le sens de ce mot ne peut être éludé de son contexte. En effet, ce verset répond à la question des menstrues en lien avec les rapports sexuels pendant ces dernières. Au vu du verset, la question devait probablement être de savoir si les rapports sexuels étaient licites pendant les règles. En effet, à aucun moment le verset n’évoque le lien entre les pratiques religieuses et les règles. Par conséquent, le terme « adhâ » ne désigne pas une « impureté religieuse » mais bien une indisposition vis à vis des rapports sexuels. Le Dr Al Ajami, à qui nous devons cette traduction, précise que « yathurna » (racine « tahara ») se trouve dans la forme 5 qui signifie « s’éloigner, écarter, être propre, être non souillé »3 plutôt que « purifier » que nous trouvons dans la plupart des traductions. Ainsi ce terme renvoie davantage à l’idée d’un nettoyage plutôt qu’à une purification symbolique à laquelle renverrait par exemple les ablutions. Les juristes musulmans ont fait une surinterprétation de ce verset en considérant que cette indisposition entraînerait un état d’impureté indépendamment des rapports sexuels, qui interdirait aux femmes de jeûner et de prier pendant leurs règles. Il est bien sûr possible d’adhérer à cette interprétation mais rien ne prouve de sa véracité. Or, en instaurant une interdiction sur cette question, on impose une éventuelle erreur d’interprétation à toutes les femmes, qui aboutit à une rupture du contact avec Dieu par l’impossibilité de réaliser la « liaison de grâce » auquel il nous enjoint. Cela est bien sûr inadmissible. Car aucun verset n’interdit à une femme de prier, de jeûner ou de se rendre à la mosquée pendant ses règles. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles seraient obligées de le faire, je pense notamment au jeûne. Certaines femmes ont des douleurs de règles ou se sentent fatiguées ou irritées pendant leurs menstrues. Dans ces situations, elles peuvent bien sûr interrompre leur jeûne, non pas parce qu’elles ont leurs menstrues, mais parce qu’elles sont malades, c’est à dire diminuées physiquement par la douleur ou la fatigue, ce qui rend leur jeûne plus difficile. Chaque femme doit être libre de choisir si elle souhaite interrompre quelques jours ses prières et ses jeûnes ou si elle préfère maintenir son lien avec Dieu. Il peut être aussi plus facile de poursuivre le jeûne tout le mois car le corps s’habitue et une rupture du rythme entraine plus de difficultés pour le retrouver.
Est-il obligatoire de jeûner pendant le mois de Ramadan ?
Le jeûne du mois de Ramadan est considéré comme une obligation pour la plupart des musulmans. C’est une pratique paradoxalement plus suivie que la prière rituelle malgré sa plus grande difficulté et sa fugacité. Or, le Coran donne explicitement la possibilité de ne pas pratiquer le jeûne y compris pour les personnes pouvant le faire :
« Le jeûne vous est prescrit, comme il a été prescrit à ceux qui ont précédés, puissiez-vous prendre garde ! / pendant un nombre de jours déterminés. Qui parmi vous est malade ou en voyage compensera par un nombre équivalent de jours. Or, ceux qui ont la possibilité de jeûner (sans le faire) doivent compenser avec le repas d’un pauvre. C’est un bien pour qui fait spontanément davantage. Pour lui, c’est meilleur ! C’est un bien pour vous que vous jeûniez, si vous saviez ! (Coran 2 : 183-184).
Al Ajami indique dans ces travaux : « le verbe aṭâqa est la forme IV de la racine ṭâqa et signifie de manière univoque être en mesure de, être capable de, pouvoir faire. Contrairement à ce que transcrivent la traduction standard et bien d’autres il est parfaitement erroné de traduire le syntagme wa ‘alâ–l–ladhîna yuṭîqûna-hu par « et pour ceux qui ne pourraient le supporter qu’(avec grande difficulté) », car cette formulation au négatif ne peut être déduite du texte, elle affirme le contraire de ce que la lettre du Coran postule ! »4 Bien que Dieu nous incite à jeûner durant le mois de Ramadan car « c’est un bien pour vous que vous jeûniez » (Coran 2 : 184) – et tous ceux qui le pratiquent avec une réelle intention spirituelle ne peuvent qu’en témoigner –, Il laisse la possibilité à ceux qui le souhaitent de ne pas le faire. Le jeûne est une pratique exigeante qui implique le corps sur une longue durée et qui nécessite une réelle endurance et motivation spirituelle pour en tirer des bénéfices. Jeûner sans ces intentions et une réelle volonté ne produit aucune élévation spirituelle, c’est même contre-productif.
La question de la fixation du mois de Ramadan
Tous les ans le même débat émerge au sujet de la détermination du mois de Ramadan. Il est souvent présenté de manière simpliste entre les partisans du calcul astronomique et ceux de l’observation du premier croissant de lune. Or, si le calcul astronomique est juste, ce qui est indéniable aujourd’hui, la vision ne ferait que rejoindre l’observation. Il ne devrait donc pas y avoir de divergences. En réalité, le réel débat ne porte pas sur le choix de la vision ou du calcul mais plutôt sur le fait de savoir et se mettre d’accord sur ce que nous calculons ou observons.
La méthodologie dite « du calcul » prend en compte l’apparition du premier croissant de lune n’importe où dans le monde, alors que les partisans de l’observation constatent la présence du croissant de manière locale, à l’échelle d’un pays. Selon la localisation du pays, il pourra y avoir une différence d’une journée. La véritable question est de savoir si nous devons nous référer à la présence du premier croissant mondial, indépendamment de son lieu d’apparition, ou à celle du premier croissant local, dans notre pays. Ces deux modalités peuvent se calculer à l’avance ou s’observer. Selon les mois, les deux calculs peuvent se rejoindre sur la même journée ou diverger d’un jour.
Quelle méthode préconise le Coran ? Bien évidemment, la réponse n’est pas tranchée puisque la seule possibilité à l’époque du Prophète était d’observer le croissant de lune, ce qui correspond au calcul local. Cela ne signifie pas pour autant que le calcul mondial ne peut être envisagé. Etant donné qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, jamais une instance ne pourra prétendre en choisir une pour l’ensemble des musulmans, ni même d’un pays. Ce choix ne peut être qu’individuel, en analysant les différents arguments en faveur de l’une ou l’autre option. L’essentiel étant de faire le choix d’une méthode de calcul et de s’y tenir au minimum pour le mois entier et éviter ainsi – comme on l’observe malheureusement trop souvent dans les décisions de certaines instances – de démarrer le mois en suivant une méthode de calcul et de le finir selon une autre méthode.
1) Le calcul mondial (Ramadan en France : mardi 13 avril 2021 ; Aïd : jeudi 13 mai 2021)
Cette méthodologie calcule l’apparition du premier croissant n’importe où dans le monde, sans tenir compte de la présence de ce dernier dans notre pays. Avec cette méthode, lorsque le début du jeûne est décrété, il est fréquent que le croissant lunaire ne se trouve pas encore dans le ciel pour un pays européen ou du Proche Orient (et parfois également l’Afrique). Cette méthode a l’avantage de fixer une même date de début et de fin de jeûne pour toute la planète mais elle ne tient pas compte des phases astrales locales. En cela, elle est déconnectée de la méthodologie du Prophète et des recommandations coraniques mettant en avant le lien à la nature.
2) Le calcul local ou l’observation (Ramadan en France : mercredi 14 avril 2021 ; Aïd : jeudi 13 mai 2021)
L’observation du premier croissant de lune dans un pays correspond au calcul de l’apparition de celui-ci dans ce pays. Cette méthode permet à la fois d’appliquer la technique suivie par le Prophète et de prévoir à l’avance les dates de début et de fin du mois de Ramadan. En revanche, elle ne permet pas une cohésion au niveau mondial puisque, selon la position des pays sur le globe, tous n’aurons pas le croissant présent au même moment. Il y aura une divergence d’une journée selon les pays.
Toutes les pratiques prescrites par le Coran sont reliées aux astres. Nous suivons un calendrier lunaire pour déterminer nos mois. Les prières et les horaires de jeûne correspondent au cycle solaire et à ses différentes stations. L’islam est une religion qui vise à nous relier en permanence à la nature en nous invitant à une perpétuelle contemplation de celle-ci. Notre corps et notre âme sont unis à ces astres qui agissent sur nous sur le plan biologique et spirituel. De la même manière que la détermination des horaires de prières se font sur les phases du soleil de chaque pays et chaque ville, il est logique qu’il en soit de même pour les phases lunaires déterminant nos mois. Puisqu’il n’a jamais été question de s’aligner aux horaires de la Mecque pour réaliser nos prières, pourquoi en serait-il autrement pour déterminer des mois ? En suivant un calcul mondial et le croissant de lune des pays voisins, nous nous décalons de ce cycle naturel.
Pour ceux qui déplorent le décalage entre les pays, le croissant de lune est présent au même moment sur une large zone. Dans la grande majorité des cas, il apparaît en même temps à toute l’Europe et au Proche Orient, et dans de nombreux cas à l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient en même temps. Il n’y a donc pas de décalage entre les pays voisins. Ceux qui changent de pays pendant le mois de Ramadan suivront le croissant dans le nouveau pays pour déterminer la fin de leur mois de jeûne, de la même manière que nous adoptons les horaires de prière d’un nouveau pays lors d’un voyage.
3) L’approche bizonale (Ramadan en France : 13 avril 2021 ; Aïd : 13 mai 2021)
Cette méthode consiste à diviser le globe en deux blocs : l’Amérique et l’Asie d’une part, l’Europe et l’Afrique d’autre part. Lorsque le croissant lunaire est présent dans l’un de ces deux blocs, l’ensemble de la zone commence le jeûne. L’approche ici est plus « locale » que le calcul mondial tout en permettant une homogénéité au sein d’un continent. C’est celle préconisée par l’astrophysicien Nidhal Guessoum.
4) Le choix des Voix d’un islam éclairé
Pour des raisons pratiques, nous avons décidé au sein des Voix d’un islam éclairé d’opter pour une méthodologie afin de déterminer de manière cohérente les dates de début mais surtout de fin de mois de Ramadan notamment pour fixer la date de la prière collective de la fête de la rupture de jeûne (Aïd el-fitr). Il est important de préciser que chacun de nos membres est libre d’adopter une autre méthodologie, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Il n’y a bien sûr pas de mauvaises méthodes, l’important étant d’être cohérent et de conserver la même approche pour déterminer le début de chaque mois (et ainsi ne pas se retrouver avec des jours de jeûne manquants ou en trop).
Nous avons choisi d’adopter la méthode du calcul local car cette dernière nous semble plus en phase avec l’esprit du Coran tout en permettant de définir les dates à l’avance par le calcul. Elle permet également de réconcilier calcul et observation, cette dernière n’ayant pour but que de confirmer le calcul.
1 Maurice Gloton, Une approche du Coran par la grammaire et le lexique, Al Bouraq, 2002.
2 Eva de Vitray-Meyerovitch, La prière en islam, Paris, Albin Michel, 2003, p. 63.
3 Al Ajami, Que dit vraiment le Coran, « L’impureté, et l’impureté des femmes, selon le Coran et en Islam », https://www.alajami.fr/index.php/2018/06/01/s2-v222/
4 Al Ajami, Que dit vraiment le Coran, « L’obligation du jeûne de Ramadan selon le Coran et en islam », https://www.alajami.fr/index.php/2018/05/10/1-lobligation-du-jeune-de-ramadan-selon-le-coran-et-en-islam-s2-v183-184/