« Simorgh, une future mosquée « spirituelle et progressiste » à Paris » (Cécile Chambraud, Le Monde, 6 mai 2019)
« Ce projet, porté par deux jeunes femmes de 29 ans, doit ouvrir ses portes en septembre à Paris. A partir de la rentrée de septembre, les Franciliens musulmans à la recherche d’un lieu de culte « spirituel et progressiste » pourront se tourner vers une nouvelle mosquée. Baptisée Simorgh, du nom d’un oiseau fabuleux de la mythologie perse qui, dans la mystique soufie, représente un guide intérieur pour le croyant, elle ouvrira ses portes à Paris, à une adresse encore tenue secrète « pour des raisons de sécurité ». Femmes et hommes y seront accueillis sur un pied d’égalité totale et sans séparation, que ce soit pour prier, pour guider la prière ou encore pour faire le sermon. Le port du voile sera laissé au libre arbitre de chacune, imams comprises.
Deux jeunes femmes de 29 ans sont à l’origine de ce projet. Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay sont arrivées à l’islam après des parcours spirituels personnels, l’une dans l’est de la France puis à Lyon, l’autre en Ile-de-France. La première a cofondé l’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite, un courant rationaliste des premiers siècles qui associait fortement la foi et la raison. La seconde s’inscrit dans la tradition mystique du soufisme. Les réseaux sociaux ont permis à leurs deux insatisfactions, face à l’offre existante des lieux de culte, de se rencontrer, et bientôt d’imaginer cette mosquée dont elles ressentaient le désir sans pouvoir la trouver. Une association en est née à l’été 2018, intitulée Voix d’un islam éclairé (VIE).Pour elles, l’islam est avant tout une quête spirituelle personnelle, qui doit pouvoir s’inscrire pleinement « dans la modernité ».
La lecture des textes comme les pratiques rituelles doivent faire toute leur place à la raison et à l’esprit critique, et ne pas se contenter d’une simple imitation des « anciens ». « Incarner un islam progressiste consiste à ne pas considérer le Coran comme un texte clos ou un code légal figé mais comme une guidance et une lumière qui nous indique et nous suggère une direction à prendre pour tracer sa propre route », écrivent-elles dans un manifeste publié fin février par la Fondation pour l’innovation politique et intitulé : Une mosquée mixte pour un islam spirituel et progressiste. « Le Coran apportait de la nouveauté. Il faut continuer cette nouveauté », résume Eva Janadin.
Or, tel qu’il se présente aujourd’hui, l’islam des mosquées est dominé selon elles par un conservatisme religieux traversé par « des luttes de pouvoir entre différentes factions nationales étrangères, par des intérêts financiers démesurés, par des conflits d’intérêts et par l’influence de l’islamisme et du fondamentalisme religieux ». Entre formalisme des rites, normativité du discours et marginalisation des femmes, elles ne s’y retrouvent pas. « Les musulmans progressistes sont sortis du monde des mosquées, explique Eva Janadin. Ils ont une pratique solitaire, intime de l’islam. Nous voulons faire redescendre dans les mosquées l’approche historico-critique, progressiste. »
Bouillon de culte
Dans la mosquée Simorgh, donc, il n’y aura pas d’imam attitré. Les prières seront dirigées par un volontaire, homme ou femme. Celui ou celle qui fera le sermon devra « présenter un point de vue qui sera un éclairage, une interprétation, et non l’imposer comme une vérité absolue, une obligation ou une interdiction », indique Anne-Sophie Monsinay. Le sermon sera en français. Les prières pourront être dites en français ou en arabe afin de favoriser leur compréhension.
Et aucune contrainte vestimentaire ne sera imposée. « Rien n’impose le port du voile, dans le Coran. Si on le rend obligatoire ou si on l’interdit, on est dans la contrainte », soutiennent les deux jeunes femmes. Si elle s’inspirera de la mystique soufie, la mosquée ne s’inscrira pas dans une école juridique déterminée. Outre des offices rituels, elle abritera des sessions d’enseignements, d’autres de prières ou de chants soufis.
Beaucoup ne se retrouvent plus du tout dans les discours tenus dans les mosquées.
(Omero Marongiu-Perria, sociologue)
Après celui de Kahina Bahloul et Faker Korchane, toujours à la recherche d’un local pour leur mosquée, « Fatima », Simorgh est le deuxième projet de mosquée réellement mixte et s’affichant ancré dans la modernité qui voit le jour en peu de temps. Ils manifestent l’existence d’un bouillon de culture musulman qui ne se satisfait pas du traditionalisme cultuel dominant. Ils sont le fruit de rencontres faites au cours de colloques, d’initiatives organisées ces derniers mois par des musulmans également insatisfaits de l’offre existante.
En mars, une journée d’étude consacrée aux rites faisait suite à une première réunion, un an plus tôt, autour du thème : « Quelles pratiques islamiques pour notre temps ». Y participait notamment le philosophe Abdennour Bidar. « Au fur et à mesure, l’idée d’avoir un lieu ressource a émergé, explique le sociologue Omero Marongiu-Perria, partie prenante des deux projets. Au fil du temps, des musulmans qui se pensaient totalement isolés s’aperçoivent que, comme eux, beaucoup d’autres musulmans ne se retrouvent plus du tout dans les discours tenus dans les mosquées et qu’ils attendent autre chose. »
L’association de loi 1905 d’Anne-Sophie Monsinay et d’Eva Janadin a recueilli suffisamment de contributions pour louer une salle et envisager ce lieu de culte. Dans leur manifeste, elles insistent sur la nécessité de « repenser » les rites et pratiques cultuelles de l’islam, dont une partie, soutiennent-elles, n’a « aucun fondement spirituel et religieux », comme l’obligation de prier en arabe et l’interdiction pour les femmes de jeûner ou de prier pendant leurs règles. Elles n’ignorent pas que cette question des pratiques rituelles est très sensible. « Au fond, et paradoxalement, ce qui fâche entre musulmans, ce ne sont pas des questions religieuses, mais celles portant par exemple sur l’imamat des femmes », relève Eva Janadin.
Cécile Chambraud
Source : « Simorgh, future mosquée « spirituelle et progressiste » à Paris », Le Monde, 6 mai 2019