« Singulier, mais pas seul ! » (Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay)
« Voici la première partie du compte-rendu d’une journée d’étude et de dialogue organisée par l’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite (ARIM) qui s’est déroulée le samedi 21 avril 2018 à Paris sur le thème : « Repenser sa vie spirituelle avec l’islam. Quelles pratiques islamiques pour notre temps ? ». Ceci vise à restituer les échanges entre les 150 participants répartis en groupes de discussion qui ont eu lieu pendant 1h30 sur les différents types de pratiques en islam (dévotionnelles, alimentaires et éthiques).
Ce 21 avril 2018 ressemblait au rassemblement d’une grande famille dispersée qui avait besoin de se retrouver pour que ses membres se sentent moins seuls. Comme l’a soulevé Abdennour Bidar lors de sa conférence, le slogan de cette journée pourrait être le suivant : « Singulier, mais pas seul ! » Le fil directeur de cette rencontre a réellement été l’idée qu’il était possible d’être profondément musulman sans pour autant que l’on pratique tous de la même manière.
C’est un état de fait qu’il faut désormais prendre en compte : certains musulmans ont besoin d’autres propositions spirituelles en islam. Ils ne sont plus satisfaits par l’offre classique et traditionnaliste de l’orthopraxie et de l’orthodoxie. Que ceux qui ne se sentent pas concernés se sentent libres de passer leur route. Mais que ceux qui souhaitent repenser leur vie spirituelle avec l’islam pour vivre leurs pratiques de manière autonome soient libres de suivre un chemin différent sans avoir à subir ni menace ni jugement de la part de leurs coreligionnaires.
Pourquoi tant de culpabilité ?
Un autre fil directeur a relié une majorité des participants : un sentiment de culpabilité. Coupables de ne pas avoir eu le temps de faire leurs cinq prières par jour, coupables de ne pas avoir eu le temps de les rattraper, coupables de ne pas vouloir jeûner, coupables d’adapter leur jeûne sans raison « valable », coupables de ne pas aller à la mosquée, coupables de ne pas s’habiller « correctement », coupables d’oser manger du porc ou de boire de l’alcool… Pourquoi tant de culpabilité ? Essentiellement par peur du jugement d’autrui, par peur d’être mal vus par les membres de la communauté (oumma), par peur d’être montrés du doigt, par peur d’être rejetés, par peur d’être qualifiés « d’égarés » et de ne pas être reconnus comme musulmans.
Comment a-t-on pu en arriver là ? De nombreux musulmans se sentent mal à l’aise dans leur communauté religieuse. Mal à l’aise face aux carcans communautaristes, face à des comportements culpabilisateurs qui annihilent la liberté de conscience des individus et qui placent entre Dieu et le fidèle une interférence qui ne devrait pas exister. Bien sûr, ces pressions ne sont pas généralisées mais on ne peut pas les nier pour autant.
N’est-il pas temps d’offrir à ces musulmans isolés et éparpillés de nouvelles propositions spirituelles ?
Que devient le musulman qui ose s’affranchir de ces intimidations et vivre son islam à sa façon ? Il se retrouve bien souvent seul face à un bloc qui se qualifie de « majoritaire », « d’orthodoxe » en dehors duquel il n’existerait que des « sectes », c’est-à-dire des groupes minoritaires qui auraient une interprétation jugée « déviante » par rapport à l’orthopraxie et à l’orthodoxie. Il s’agit là d’un véritable déni du pluralisme de l’islam qui a pourtant toujours existé au cours de l’histoire.
N’est-il pas temps d’offrir à ces musulmans isolés et éparpillés de nouvelles propositions spirituelles et une nouvelle sociabilité, c’est-à-dire une communauté ouverte sur le monde, multiple et plurielle, qui ne cherche pas à homogénéiser leurs dogmes et leurs pratiques ? Si nous n’avions qu’une seule chose à dire pour appeler et rassurer ces musulmans qui se reconnaissent dans une autre lecture de l’islam, ce serait la suivante : « Tu n’es pas seul-e. » »
Source : « Singulier, mais pas seul ! », Saphirnews, 29 mai 2018