« Quelles pratiques islamiques pour notre temps ? De la nécessité de repenser sa vie spirituelle avec l’islam » (Abdennour Bidar, Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay)
Comme l’a dit récemment Yadh Ben Achour (« Réenchanter l’islam. Les voies du renouveau », Le Monde des Religions, n° 87, janvier-février 2018) : « Une pensée critique de l’islam existe, il faut la faire connaître. (…) C’est une longue tradition de l’islam que celle de la liberté, de la critique, de la vigilance intellectuelle, qui est aujourd’hui effacée par la visibilité dans les médias d’un autre islam, refermé sur lui-même. » Depuis plusieurs décennies, cette pensée est incarnée par des intellectuels majeurs mais elle a besoin pour gagner en légitimité qu’on la considère en braquant davantage les projecteurs sur elle.
Tirer les conséquences concrètes de la remise en question théorique de l’immuabilité des dogmes et des traditions
Ce discours critique doit se risquer à aborder la question des pratiques islamiques sans renvoyer celles-ci à la sphère de l’intimité et de l’intouchable. Or trop souvent les musulmans progressistes se sont limités à des réflexions socio-politiques et à des débats métaphysiques certes nécessaires mais insuffisants car inaccessibles pour beaucoup de musulman(e)s.
Le thème des pratiques reste donc encore un impensé. Il est temps selon nous de tirer les conséquences concrètes de la remise en question théorique de l’immuabilité des dogmes et des traditions. Certes, il est plus que nécessaire d’argumenter le fait que le Coran et les hadiths du Prophète n’ont absolument pas échappé à l’empreinte humaine et à leur contexte de rédaction. Plus que nécessaire aussi de dire que le Coran n’est pas un code légal mais qu’il contient des trésors de méditation sur les grandes questions existentielles de l’humanité. Mais quelles conséquences tirer ensuite de tout cela sur notre vie spirituelle quotidienne ?
Est-ce que ces nouvelles positions théologiques annihilent totalement la possibilité même d’avoir une pratique religieuse ? Nous ne le pensons pas. Ces interprétations nous permettent au contraire de tracer des sentiers encore inexplorés et de réinventer la vie spirituelle de notre temps. Les discours critiques n’ont souvent fait que déconstruire l’islam, à juste titre pour lui enlever ses interprétations pétrifiées mais sans essayer de reconstruire une autre façon de mener sa vie spirituelle avec cet héritage. Or si nous ne sommes pas capables de proposer d’autres possibilités, les musulman(e)s n’auront plus que deux options à défaut d’une troisième voie : abandonner l’islam ou bien s’agripper à des traditions et des pratiques inadaptées à notre siècle.
Donner un fondement philosophique et théologique à ces islams personnels pour les rendre crédibles
La question principale à se poser est bel et bien la suivante : comment adapter à notre temps les pratiques islamiques, c’est-à-dire les vivre comme des ressources spirituelles susceptibles de nous aider à affronter les nouveaux enjeux politiques, sociaux, économiques et culturels du monde contemporain ?
Repenser sa vie spirituelle ne peut se faire qu’à titre personnel, en allant chercher au fond de soi-même ce qui semble être le plus pertinent, le plus juste et le plus adapté pour son cheminement. Cela nécessite une confiance en soi, une capacité d’introspection et de discernement qui s’apprend et se cultive. C’est apprendre à écouter le maître intérieur.
Cependant, il s’agit là de ne pas s’en tenir à la simple mise en valeur d’initiatives individuelles et isolées qui visent à adapter la pratique de l’islam aux spécificités de notre siècle. Il nous faut donner un fondement philosophique et théologique à ces islams personnels pour les rendre crédibles et éviter que ces démarches ne soient vaines, condamnées à la solitude ou à des solutions provisoires souvent qualifiées de « bricolage ». Pour cela, il est nécessaire d’ouvrir des espaces de réflexion libre et de dialogue pour permettre aux musulman(e)s qui en ont besoin de s’entraider dans cette quête spirituelle et de prendre leurs décisions en toute conscience. »